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d’inventaire — ses principales hypothèses. Nous avons vu plus haut que, dans la Naissance de la tragédie, Nietzsche prend pour base de son exposition les théories de Schopenhauer sur la Volonté comme « chose en soi » sur le monde comme « représentation », sur l’individuation comme cause de toute souffrance, sur la musique comme expression directe de la volonté. Dans le même ouvrage, il salue Schopenhauer comme le Messie d’une culture tragique destinée à remplacer la culture « socratique » des temps modernes, et dont le trait caractéristique est le suivant : « Au lieu de la Science, c’est désormais la Sagesse qui devient le but suprême — la Sagesse qui sans se laisser abuser par les mirages trompeurs des sciences, fixe son regard sur l’image totale du monde et s’efforce, dans un élan de sympathie et d’amour de concevoir la souffrance universelle comme sa propre souffrance à elle[1]. » En 1872. la même idée revient dans un petit article sur les rapports de la philosophie de Schopenhauer et de la culture allemande qui contient en germe les idées essentielles des trois premières Inactuelles[2]. En 1874 enfin, dans sa troisième Inactuelle, « Schopenhauer éducateur, » Nietzsche proclame sa profonde reconnaissance pour le penseur qui l’a initié à la vie de l’esprit, et expose l’influence salutaire que les idées du grand pessimiste peuvent exercer sur l’âme moderne. L’homme d’aujourd’hui, dit-il, se cherche lui-même ; or, pour démêler quelle est sa véritable nature, son vrai moi, rien ne peut lui être plus utile qu’un maître — non pas un maître qui lui prescrive de suivre telle ou telle voie particulière ou lui fournisse des moyens d’action plus étendus, mais un éducateur qui le délivre de tout ce qui l’empêche de pénétrer jusqu’à ce moi obscur et caché et qui se dissimule au fond de chacun de nous. Ce maître,

  1. W. I, 128.
  2. W. LX, 365 ss.