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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

d’eau pour se laver : nul moyen de changer ses guenilles ; les parents qui apportaient du linge étaient brutalement renvoyés. Deux fois par jour, dans une auge, un liquide jaunâtre : la pâtée. Les gendarmes vendaient du tabac à des prix exorbitants et le confisquaient pour le revendre. Pas de médecin. La gangrène rongea les blessés ; des ophthalmies se déclarèrent. Le délire devint chronique. La nuit mêlait les plaintes, les gémissements aigus, aux hurlements des fous. En face, les gendarmes, fusils chargés, plus durs que jamais, n’ayant jamais vu, disaient-ils, de bandits pareils à ces Parisiens.

Ces ténèbres avaient encore leurs ténèbres, la Fosse-aux-lions, caveau sans air, noire antichambre de la tombe, sous le grand escalier rose de la Terrasse. On y jetait quiconque était noté dangereux ou seulement avait déplu au brigadier. Au moindre bruit le capitaine commandant les faisait bâtonner, à moins qu’il ne les bâtonnât lui-même. Les plus robustes n’y résistaient que quelques jours. Au sortir, la tête vide, aveuglés par le grand jour, ils trébuchaient. Heureux quand ils rencontraient le regard d’une épouse. Contre les grilles de l’Orangerie, des femmes se pressaient, essayant de retrouver quelqu’un dans ce troupeau vaguement entrevu. Elles suppliaient les gendarmes qui les repoussaient, les appelaient de noms infâmes.

L’enfer au grand jour c’était le dock du plateau de Satory, vaste parallélogramme clos de murs, au terrain argileux que la moindre pluie détrempait. Les premiers arrivés emplirent vite les bâtiments qui pouvaient contenir treize cents personnes au plus ; les autres furent laissés dehors.

Le jeudi soir, à huit heures, un convoi surtout composé de femmes, arriva au dock : « Plusieurs d’entre nous, m’a redit l’une d’elles — la femme d’un chef de légion, — étaient restées en route ; nous n’avions rien pris depuis le matin. Il faisait encore jour. Nous vîmes une grande foule de prisonniers. Les femmes étaient à part, dans une baraque auprès de l’entrée. Nous allâmes les rejoindre.

« On nous dit qu’il y avait une mare. Mourantes de soif, nous y courûmes. Les premières qui burent pous-