Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/141

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guindées ! En fait de musique, on raffole des romances faciles à roucouler et des « pensées fugitives » faciles à épeler !

Une fois arraché à son inspiration solitaire, l’artiste ne peut la retrouver que dans l’intérêt de son auditoire, plus qu’attentif, vivant et animé, pour ce qu’il a de meilleur en lui ; pour ce qu’il sent de plus noble, pour ce qu’il pressent de plus élevé, pour ce qu’il veut de plus dévoué, pour ce qu’il rêve de plus sublime, pour ce qu’il dit de plus divin. Tout cela est aussi incompris qu’ignoré de nos salons actuels, où la Muse ne descend guère que par mégarde, pour aussitôt s’envoler vers d’autres régions. Une fois partie, emportant avec elle l’inspiration, l’artiste ne retrouve plus celle-ci dans les airs provoquans et les sourires sémillans qui ne demandent qu’à être désennuyés, dans les froids regards d’un aréopage de vieux diplomates blasés, sans foi et sans entrailles, qu’on dirait rassemblés pour juger des mérites d’un traité de commerce ou des expériences qui donnent droit à un brévet d’inventiou. Pour que l’artiste soit véritablement à sa propre hauteur, pour qu’il s’élève au dessus de lui-même, pour qu’il transporte son auditoire en étant hors de lui, enlevé et illuminé par le feu divin, l’esiro poetico, il lui faut sentir qu’il ébranle, qu’il émeut ceux qui Pécoutent, que ses sentimens trouvent en eux l’accord des mêmes instincts, qu’il les entraîne enfin à sa suite dans sa migration vers l’infini, comme le chef des troupes ailées,