Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/150

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était lettrée comme la demoiselle d’un cabinet de lecture, majestueuse comme la dame d’honneur d’une princesse de Hildburghausen, avenante comme une marchande de briquets phosphoriques et rusée comme une portière : enfin, de tout point propre au rôle que nous voulions lui faire jouer. Nous lui fîmes endosser une robe de chambre satanique, un bonnet grec, des pantoufles persanes, et nous l’établîmes au bureau de George Sand, masquée par une énorme liasse de papiers figurant ses œuvres inédites. Auprès d’elle un écritoire monstre, quatre ou cinq de ces livres pédants que notre ami George ne lit jamais ; et, pour compléter l’illusion et donner la couleur locale, un petit paquet de cigarettes. Nous nous cachâmes derrière un paravent, d’où nous pouvions tout voir et tout entendre ; puis, l’on introduisit l’avocat de province auprès de l’auteur d’Indiana. Ici commence une comédie dont vous ne pouvez vous faire aucune idée, et que vous aurez bien de la peine à croire, puisque moi qui étais présent, je me demande, à cette heure, si j’ai bien réellement vu, de mes propres yeux vu, cette scène grotesque. L’avocat s’avança dans la chambre à demi-éclairée, visiblement ému, mais plus glorieux pourtant qu’embarrassé de son personnage. Mme Cramer acheva de le mettre à l’aise, en lui disant, avec toute la grâce d’une châtelaine bien apprise, que depuis longtemps le bruit de sa renommée avait retenti dans sa solitude, et qu’elle s’estimait heureuse de connaître personnellement