Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/160

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Les femmes les plus élégantes usent de l’influence de leurs charmes, et font de la coquetterie chrétienne ; les jeunes filles, obéissant au double précepte du travail et de la charité, sèment de perles d’or des bourses de cachemire ; les hommes s’assemblent en comité pour discuter gravement, durant des journées entières, le nombre des lustres ou la couleur des draperies qui décoreront la fête. De grâce, messieurs, pressez un peu vos philanthropiques débats, car tout à l’heure, à votre porte, un vieillard est tombé d’inanition, une mère vient de vendre sa fille.

Ce n’est pas à dire pourtant que ces œuvres ne soient bonnes, très bonnes. Vouloir le bien, c’est déjà le faire ; dire à l’indigent qu’on songe à lui, c’est le soulager en partie ; mêler une pensée d’humanité à des plaisirs égoïstes, c’est beaucoup, c’est peut-être là même tout ce qui peut se faire aujourd’hui. Aussi ai-je toujours regardé comme un devoir de m’adjoindre en toutes occasions à des associations bienfaisantes. Seulement, au lendemain des concerts auxquels j’avais pris part, je voyais les patrons de la fête se féliciter, se glorifier du chiffre de la recette, et moi je m’en allais, tête baissée, en réfléchissant que chaque famille aurait, tout partage fait, une livre de pain à manger, un fagot pour se chauffer. — Dix-huit siècles sont écoulés depuis que le Christ a prêché la fraternité humaine, et sa parole n’est pas encore mieux comprise ! Elle brûle comme une lampe sacrée dans le cœur de quelques