Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/174

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la société et reconquérir par ce moyen, en harmonie avec l’état actuel des esprits, une partie de l’influence qu’elle acquit en d’autres temps par des voies opposées. L’esprit d’association se répand à tel point parmi nous, que je ne serais pas surpris de voir se former avant peu des couvents d’une autre nature : des réunions d’artistes, de savants, de travailleurs, vivant ensemble, sous une règle convenue, et mettant en commun leurs recherches et leurs découvertes. L’égoïsme, qui isole les hommes, serait ainsi plus sûrement combattu que par la séquestration monastique : il y aurait moins de temps perdu dans les préoccupations de la vie matérielle, moins d’intelligences étouffées par la misère, moins d’erreurs et d’aveuglements prolongés, puisque l’œil de tous veillerait sur chacun… Mais trêve de suppositions et d’hypothèses, j’ai à vous parler de tant de magnifiques réalités.

Les oppositions abondent dans la vie de voyage. L’ombre de Voltaire, la statue de Rousseau, ces grands démolisseurs de monastères, nous attendaient sur les bords du Léman. Plus loin Ripaille[1], séjour du philosophe épicurien qui déchargea son front du double poids de la tiare et de la couronne, et ne voulut laisser d’autre mémoire de lui qu’un dicton populaire qui exprime en deux langues la joie et le bien-être. Voici Pissevache, l’orgueilleuse cascade, étalant ses charmes comme une courtisane ;

  1. Près Thonon (Haute-Savoie) ; château où se retira le duc Amédée de Savoie, qui avait été antipape sous le nom de Félix V.