Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/185

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artistes que nous sommes, en vérité ! il est de courts instants où il nous semble avoir l’intuition des choses divines, où nous sentons en nous comme une mystérieuse conception, comme une compréhension surnaturelle de l’harmonie des mondes ; mais aussitôt que nous voulons donner un corps à nos sensations, fixer ces élans fugitifs de l’âme, l’illusion s’anéantit, le dieu disparaît, et l’homme reste seul en présence d’une œuvre sans vie, que les regards de la foule achèveront bientôt de dépouiller pour lui de son dernier prestige. Pauvres artistes contents de vous et de vos œuvres ! osez donc les considérer aux clartés resplendissantes du soleil couchant, et dites encore qu’elles doivent être immortelles !

Souvent dans la plus forte chaleur du jour, nous allons nous reposer sous les platanes de la Villa Melzi, nous lisons la Divina Commedia assis au pied du marbre de Bomelli : le Dante conduit par Béatrix. Quel sujet ! et qu’il est dommage que le statuaire l’ait si mal compris ! qu’il ait fait de Béatrix une femme épaisse et matérielle ; de Dante, quelque chose de mesquin, d’étriqué, une manière de pauvre honteux et non pas quel signor de l’altissimo canto, comme il l’a dit lui-même en désignant Homère ! Mais pour comprendre Dante il a fallu Michel Ange ! Vous l’avouerai-je pourtant ? Dans ce poème immense, incomparable, une chose m’a toujours singulièrement choqué, c’est que le poète ait conçu Béatrix, non comme l’idéal de