Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/239

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siècle déplore ces morts prématurées qui lui ravissent de si précieuses jouissances ; pour lui il regarde jusqu’avec envie la destinée de Malibran qui emporte au tombeau sa beauté, sa gloire, son génie, avant que le temps ne l’en ait dépouillée, et qu’autour d’elle les acclamations de la foule ne se soient éteintes en un indifférent silence ; il envisage sans terreur le coup qui frappe Bellini à cette aurore du talent qui promet une radieuse journée ; au moment où ses contemporains, applaudissant à son œuvre, l’acceptent comme le gage éclatant d’un plus glorieux avenir ; et de fait cette espérance laissée après soi ne vaut-elle pas toutes les réalités ? L’imagination des hommes se plaît surtout à grandir et à embellir ce qui aurait pu être. La critique qui flétrit le présent n’a point de prise sur l’avenir ; ils ne sont point à plaindre, ceux que la mort enlève à la décadence. Heureux le barde qui meurt en arrachant à la lyre son plus puissant accord. À ceux qui cueillirent au soleil de la jeunesse les plus fraîches fleurs de la vie, ne souhaitons pas de longs jours décolorés et la résignation, cette pâle fleur sans parfum, qui croît seule au désert aride de la vieillesse.

Dans cette soirée Mme Pasta fut ce qu’elle a toujours été, ce qu’elle sera toujours, grande, noble, majestueuse. Poggi nous captiva tous par la pureté touchante de son organe et sa sensibilité exquise. Poggi est aujourd’hui un des meilleurs, si ce n’est le meilleur ténor de l’Italie. Le final de la Lucia