Page:Littré - Pathologie verbale ou lésions de certains mots dans le cours de l’usage.djvu/26

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exemple de l’anoblissement des mots. Celui-ci a quitté les champs pour entrer dans les villes et les palais. En la langue d’aujourd’hui, ces deux extrêmes se touchent encore : la basse-cour tient à l’usage primitif, et la cour des princes, à l’usage dérivé. Une fausse étymologie, qui naquit dans le quatorzième siècle et tira notre mot de curia, y supprima le t ; mais outre que le t figure dans les dérivés, courtois, courtisan, curia devrait donner non pas cour, mais cuire ou coire. Nous avons laissé la bonne orthographe des douzième et treizième siècles (court), et gardé la mauvaise du quatorzième siècle ; si bien qu’il est devenu difficile de comprendre comment, organiquement, on a fait pour former le dérivé courtisan ; et l’usage est assez penaud quand on lui représente que courtisan jure avec cour ainsi travesti.

Démanteler. — Dans le seizième siècle, démanteler a le sens propre d’ôter le manteau, à côté du sens figuré : abattre les remparts d’une ville. Aujourd’hui le sens propre a disparu, et l’usage n’a conservé que le sens figuré. Démanteler est un néologisme dû au seizième siècle, qu’il faut féliciter d’avoir introduit ce mot au propre et au figuré. C’est vraiment une métaphore ingénieuse d’avoir comparé les remparts qui défendent une ville au manteau qui défend l’homme des intempéries. Honneur à ceux qui savent faire du bon néologisme !