Page:Livre d'hommage des lettres françaises à Émile Zola, 1898.djvu/17

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l’État-Major. Avec bien d’autres, j’ai eu le tort de considérer la légitimité de sa condamnation comme une sorte de dogme patriotique. On nous avait tant de fois répété, en 1894, que cette affaire était susceptible de déchaîner l’effroyable guerre sur le pays.

Aucune discussion, d’ailleurs, n’était possible.

À part quelques rares initiés, qui donc eût pu se douter, il y a quelques mois à peine, que les règles les plus élémentaires de l’équité, les droits essentiels et sacrés de la défense avaient été violés à l’égard d’un homme accusé du plus exécrable des crimes : la trahison.

Du procès de 1894 on ne connaissait que le résultat. On ignorait le rapport Besson d’Ormescheville, document puéril et vide de sens, amas de potins ridicules. On ignorait les stupéfiantes péripéties d’une instruction conduite par un morphinomane, du Paty de Clam. On ignorait l’existence, au Ministère de la Guerre, d’une officine de basse police, sorte d’agence Tricoche et Cacolet, utilisant les services de faussaires avérés comme Lemercier-Picard. On ignorait l’œuvre de haine religieuse accomplie par d’anciens élèves des Jésuites de la rue des Postes. On ignorait surtout l’existence, dans l’armée française, d’un uhlan nommé Esterhazy et que ce uhlan était protégé par l’État-Major français et que cet Esterhazy était l’auteur du bordereau perfidement attribué à Alfred Dreyfus.

La lettre publique adressée par Zola au Président de la République, son procès devant la cour d’assises de la Seine ont fait crouler l’échafaudage de mensonges, si laborieusement édifié depuis quatre ans.

En même temps, Zola a mis à nu l’ulcère qui, si l’on n’y prend garde, aura bientôt gangrené la France.