Page:Livre d'hommage des lettres françaises à Émile Zola, 1898.djvu/35

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tourmente, une seule voix est restée muette, la voix de la bonté. Les hommes ont lutté, injurié, frappé : ils se sont déchirés et se déchirent encore. On s’est battu pour la vérité, on a clamé justice, magnifiquement. On n’a pas pleuré. La vision attendrie de la souffrance s’est obscurcie dans la tempête de nos discussions. Nous avons fini par oublier la réalité épouvantable.

» La réalité c’est qu’un homme souffre. Pour nous, cet homme est innocent. La preuve, en tout cas, n’est pas faite de son crime. Mais supposons qu’il vous reste un doute. N’est-ce point assez ? Une question d’humanité est ici en jeu. Rappelez-vous le grand pays de pitié qu’est la terre française. Ne pensez pas à tout le reste. Il n’y a pas longtemps encore, nous écoutions les poètes qui nous apprenaient qu’il faut tout plaindre, qu’il faut pleurer sur toutes les misères quelles qu’elles soient. Cette leçon, ô vous qui croyez et qui priez, n’est-elle pas aussi la leçon chrétienne ? La loi elle-même, dans notre pays et dans notre siècle, n’est pas une loi de vengeance ou de talion ; la loi ne châtie point, la peine infligée ne doit jamais être qu’un moyen de préservation sociale. Il n’est donc pas jusqu’à la loi qui ne répudie la cruauté.

» Un homme souffre cependant, soumis à des rigueurs sans précédent, à des tortures arbitraires. Cela ne peut pas, cela ne doit pas être. Il faut que cet homme soit traité comme un homme. Des nouvelles parfois nous arrivent du fond de l’île maudite. Oh ! ce n’est pas qu’il gémisse. Lui, il subit tout, sans se plaindre. Lisez ses lettres ; lisez la dernière, du 26 janvier, où il place sa confiance suprême dans son chef, dans le général de Boisdeffre : « J’espère aussi que sur ma tombe il me