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ÉMILE ZOLA ET L’ « AURORE »

Lorsque parut le premier numéro de l’Aurore, l’affaire Dreyfus était aussi loin de ma pensée que de celle de mes collaborateurs. Il suffit, pour s’en rendre compte, de consulter la collection du journal. Nous n’avions qu’un but : élever une tribune où puissent être exprimées, développées, défendues toutes les idées d’humanité, de liberté, de justice.

La culpabilité du malheureux capitaine nous paraissait indéniable. Personne alors ne connaissait le véritable auteur du bordereau, et si peu de confiance que nous eussions en l’impeccabilité de la justice en général et de la justice militaire en particulier, nous nous refusions à croire à la possibilité d’une si monstrueuse erreur.

La foi profonde de mon ami Bernard Lazare en l’innocence du condamné me semblait, plutôt basée sur des raisons de sentiments, des présomptions morales que sur d’irrécusables faits, de mathématiques certitudes. Je lui écrivais en ce sens quand il me reprochait de ne pas observer, tout au moins, une bienveillante neutralité. Il était dans le vrai, cependant, et ses intentions généreuses n’allaient pas tarder à être confirmées de la façon la plus éclatante.

Tout d’abord, l’énergique intervention de M. Scheurer-Kestner attira notre attention. Clemenceau, qui ne s’aventurait sur ce terrain, le jugeant peu solide, qu’avec une extrême prudence, fut frappé de ce que le vice-président du Sénat lui révéla. La question de culpabilité passait au second plan. L’illégalité du jugement et, par suite, l’iniquité de la sentence étaient, brutalement,