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De la Puiſſance. Liv. II.

mouvement qu’elle avoit reçu, & en perd tout autant que l’autre en reçoit ; ce qui ne nous donne qu’une idée fort obſcure d’une Puiſſance active de mouvoir qui ſoit dans le Corps, puiſque dans ce cas nous ne voyons autre choſe qu’un Corps qui transfere le mouvement, ſans le produire en aucune maniére. C’eſt, dis-je, une idée bien obſcure de la Puiſſance que celle qui ne s’étend point juſqu’à la production de l’Action, mais eſt une ſimple continuation de Paſſion. Or tel eſt le Mouvement dans un Corps pouſſé par un autre Corps, car la continuation du changement qui eſt produit dans ce Corps, du repos au mouvement, n’eſt non plus une action, que l’eſt la continuation du changement de figure, produit en lui par l’impreſſion du même coup. Quant à l’idée du commencement du Mouvement, nous ne l’avons que par le moyen de la reflexion que nous faiſons ſur ce qui ſe paſſe en nous-mêmes, lorſque nous voyons par experience qu’en voulant ſimplement mouvoir des parties de notre Corps, qui étoient auparavant en repos, nous pouvons les mouvoir. De ſorte qu’il me ſemble que l’operation des Corps que nous obſervons par le moyen des Sens, ne nous donne qu’une idée fort imparfaite & fort obſcure d’une Puiſſance active ; puiſque les Corps ne ſauroient nous fournir aucune idée en eux-mêmes de la puiſſance de commencer aucune action, ſoit penſée, ſoit mouvement. Mais ſi quelqu’un penſe avoir une idée claire de la Puiſſance, en obſervant que les Corps ſe pouſſent les uns les autres, cela ſert également à mon deſſein ; puiſque la Senſation eſt une des voyes par où l’Eſprit vient à acquerir des Idées. Du reſte, j’ai crû qu’il étoit important d’examiner ici en paſſant, ſi l’Eſprit ne reçoit point une idée plus claire & plus diſtincte de la Puiſſance active, par la reflexion qu’il fait ſur ſes propres operations, que par aucune ſenſation extérieure.

§. 5.La Volonté & l’Entendement ſont deux Puiſſances. Une choſe qui du moins eſt évidente, à mon avis, c’eſt que nous trouvons en nous-mêmes la puiſſance de commencer ou de ne pas commencer, de continuer ou de terminer pluſieurs actions de notre Eſprit, & pluſieurs mouvemens de notre Corps, & cela ſimplement par une penſée ou un choix de notre Eſprit, qui détermine & commande, pour ainſi dire, que telle ou telle action particuliére ſoit faite, ou ne ſoit pas faite. Cette Puiſſance que notre Eſprit a de diſpoſer ainſi de la préſence ou de l’abſence d’une idée particuliére, ou de préferer le mouvement de quelque partie du Corps au repos de cette même partie, ou de faire le contraire, c’eſt ce que nous appelons Volonté. Et l’uſage actuel que nous faiſons de cette Puiſſance, en produiſant, ou en ceſſant de produire telle ou telle action, c’eſt ce qu’on nomme Volition. La ceſſation ou la production de l’action qui ſuit d’un tel commandement de l’Ame, s’appelle volontaire ; & toute action qui eſt faite ſans une telle direction de l’Ame, ſe nomme involontaire. La Puiſſance d’appercevoir eſt ce que nous appelons Entendement ; & la Perception que nous regardons comme un Acte de l’Entendement peut être diſtinguée en trois eſpéces. 1. Il y a la Perception des Idées dans notre Eſprit. 2. La Perception de la ſignification des Signes. 3. La Perception de la liaiſon ou oppoſition, de la convenance ou diſconvenance qu’il y a entre quelqu’une de nos Idées. Toutes ces différentes Perceptions ſont attri-