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XXVI
ELOGE DE M. LOCKE.

jet à la colere. Mais ces accès ne lui duroient pas long-tems. S’il conſervoit quelque reſſentiment, ce n’étoit que contre lui-même, pour s’être laiſſé aller à une paſſion ſi ridicule, & qui, comme il avoit accoûtumé de le dire, peut faire beaucoup de mal, mais n’a jamais fait aucun bien. Il ſe blâmoit lui-même de cette foibleſſe. Sur quoi il me ſouvient que deux ou trois ſemaines avant ſa mort, comme il étoit aſſis dans un Jardin à prendre l’air par un beau Soleil, dont la chaleur lui plaiſoit beaucoup, & qu’il mettoit à profit en faiſant tranſporter ſa chaiſe vers le Soleil à meſure qu’elle ſe couvroit d’ombre, nous vinmes à parler d’Horace, je ne ſai à quelle occaſion, & je rappellai ſur cela ces vers où il dit de lui-même qu’il étoit

————————— Solibus aptum ;
Iraſci celerem tamen ut placabilis eſſem.

« qu’il aimoit la chaleur du Soleil, & qu’étant naturellement prompt & colere il ne laiſſoit pas d’être facile à appaiſer ». M. Locke repliqua d’abord que s’il oſoit ſe comparer à Horace par quelque endroit, il lui reſſembloit parfaitement dans ces deux choſes. Mais afin que vous ſoyez moins ſurpris de ſa modeſtie en cette occaſion, je ſuis obligé de vous dire tout d’un tems qu’il regardoit Horace comme un des plus ſages & des plus heureux Romains qui ayent vêcu du tems d’Auguſte, par le ſoin qu’il avoit eu de ſe conſerver libre d’ambition & d’avarice, de borner ſes deſirs, & de gagner l’amitié des plus grands hommes de ſon ſiécle, ſans vivre dans leur dépendance.

M. Locke n’approuvoit pas non plus ces Ecrivains qui ne travaillent qu’à détruire, ſans rien établir eux-mêmes. « Un bâtiment, diſoit-il, leur déplait. Ils y trouvent de grands défauts : qu’ils le renverſent, à la bonne heure, pourvû qu’ils tâchent d’en élever un autre à la place, s’il eſt possible ».

Il conſeilloit qu’après qu’on a médité quelque choſe de nouveau, on le jettât au plûtôt ſur le papier, pour en pouvoir mieux juger en le voyant tout enſemble ; parce que l’Eſprit humain n’eſt pas capable de retenir clairement une longue ſuite de conſéquences, & de voir nettement le rapport de quantité d’idées differentes. D’ailleurs il arrive ſouvent, que ce qu’on avoit le plus admiré, à le conſiderer en gros & d’une maniére confuſe, paroît ſans conſiſtence & tout-à-fait inſoûtenable dès qu’on en voit diſtinctement toutes les parties.

M. Locke conſeilloit auſſi de communiquer toûjours ſes penſées à quelque Ami, ſur-tout ſi l’on ſe propoſoit d’en faire part au Public ; & c’eſt ce qu’il obſervoit lui-même très-religieuſement. Il ne pouvoit comprendre, qu’un Etre d’une capacité auſſi bornée que l’Homme, auſſi ſujet à l’Erreur, eût la confiance de négliger cette précaution.

Jamais homme n’a mieux employé ſon tems que M. Locke. Il y paroît par les Ouvrages qu’il a publiez lui-même ; & peut-être qu’on en verra un jour de nouvelles preuves, Il a paſſé les quatorze ou quinze derniéres an-