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Des Modes Mixtes. Liv. II.

ce qu’il peut aiſément déduire par lui-même de ce qui a été dit ci-deſſus. Nous pouvons faire la même choſe à l’égard de toutes nos Idées complexes, ſans exception, car quelque complexes qu’elles ſoient, elles peuvent enfin être réduites à des Idées ſimples, uniques materiaux de connoiſſances ou des penſées que nous avons, ou que nous pouvons avoir. Et il ne faut pas apprehender, que par-là notre Eſprit ſe trouve réduit à un trop petit nombre d’Idées, ſi l’on conſidere quel fonds inépuiſable de Modes ſimples nous eſt fourni par le Nombre & la Figure ſeulement. Il eſt aiſé d’imaginer après cela que les Modes mixtes qui contiennent diverſes combinaiſons de différentes Idées ſimples & de leurs Modes dont le nombre eſt infini, ſont bien éloignez d’être en petit nombre & renfermez dans des bornes fort étroites. Nous verrons même, avant que de finir cet Ouvrage, que perſonne n’a ſujet de craindre de n’avoir pas un champ aſſez vaſte pour donner eſſor à ſes penſées ; quoi qu’à mon avis elles ſe réduiſent toutes aux Idées ſimples que nous recevons de la Senſation ou de la Reflexion, & de leurs différentes combinaiſons.

§. 10.Les Idées qui ont été le plus modifiées, ſont celles du Mouvement, de la Penſée & de la Puiſſance. Une choſe qui mérite d’être examinée, c’eſt, lesquelles de toutes nos Idées ſimples ont été le plus modifiées, & ont ſervi à compoſer le plus de Modes Mixtes, qu’on ait déſigné par des noms particuliers. Ce ſont les trois ſuivantes, la Penſée, le Mouvement, deux Idées auxquelles ſe réduiſent toutes les actions, & la Puiſſance, d’où l’on conçoit que ces Actions découlent. Ces Idées ſimples de Penſée, de Mouvement, & de Puiſſance ont, dis-je, reçu plus de modifications qu’aucune autre ; & c’eſt de leurs modifications qu’on a formé plus de Modes complexes, déſignez par des noms particuliers. Car comme la grande affaire du Genre Humain conſiſte dans l’Action, & que c’eſt à l’Action que ſe rapporte tout ce qui fait le ſujet des Loix, il ne faut pas s’étonner qu’on aît pris connoiſſance des différens Modes de penſer & de mouvoir, qu’on en aît obſervé les idées, qu’on les aît comme enregistrées dans la Mémoire, & qu’on leur aît donné des noms ; ſans quoi les Loix n’auroient pû être faites, ni le vice ou le déreglement reprimé. Il n’auroit guere pû y avoir, non plus, de commerce entre les hommes, ſans le ſecours de telles idées complexes, exprimées par certains noms particuliers ; c’eſt pourquoi ils ont établi des noms, & ſuppoſé dans leur Eſprit des idées fixes de Modes de diverſes Actions, diſtinguées par leurs Cauſes, Moyens, Objets, Fins Inſtrumens, Temps, Lieu, & autres Circonſtances, comme auſſi des Idées de leurs différentes Puiſſances qui ſe rapportent à ces Actions, telle eſt la Hardieſſe qui eſt la Puiſſance de faire, ou de dire ce qu’on veut, devant d’autres perſonnes, ſans craindre, ou ſe déconcerter le moins du monde : puiſſance qui par rapport à cette dernière partie qui regarde le diſcours, avoit un nom particulier * * Παῤῥουσία. parmi les Grecs. Or cette Puiſſance ou aptitude qui ſe trouve dans un homme de faire une choſe, conſtituë l’idée que nous nommons Habitude, lorsqu’on a acquis cette puiſſance en faiſant ſouvent la même choſe ; & quand on peut la réduire en acte, à chaque occaſion qui s’en préſente, nous l’appellons Diſpoſition ; ainſi la Tendreſſe eſt une diſpoſition à l’amitié ou à l’amour.

Qu’on examine enfin tels Modes d’Action qu’on voudra, comme la Con-