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De nos Idées Complexes

à penſer à quelque Subſtance particuliére. Car ſi nous voulons avoir de vrayes & diſtinctes notions des Subſtances, il eſt abſolument néceſſaire de conſiderer les différentes Puiſſances qu’on y peut découvrir.

§. 8.Et comment. Au reſte, nous ne devons pas être ſurpris, que les Puiſſances faſſent une grande partie des Idées complexes que nous avons des Subſtances ; puiſque ce qui dans la plûpart des Subſtances contribuë le plus à les diſtinguer l’une de l’autre, & qui fait ordinairement une partie conſiderable de l’Idée complexe que nous avons de leurs différentes eſpèces, ce ſont leurs * * Voyez ci-deſſus (pag. 87.) le Chapitre VIII. où l’Auteur explique au long ce qu’il entend par ſecondes Qualitez. ſecondes Qualitez. Car nos Sens ne pouvant nous faire appercevoir la groſſeur, la contexture & la figure des petites parties des Corps d’où dépendent leurs conſtitutions réelles & leurs veritables différences, nous ſommes obligez d’employer leurs ſecondes Qualitez comme des marques caracteriſtiques, par leſquelles nous puiſſions nous en former des idées dans l’Eſprit, & les diſtinguer les unes des autres. Or toutes ces ſecondes Qualitez ne ſont que des ſimples Puiſſances, comme nous l’avons † Pag. 88. & ſuiv. déja montré. Car la couleur & le goût de l’Opium ſont auſſi bien que ſa vertu ſoporifique ou anodyne, de pures Puiſſances qui dépendent de ſes Prémiéres Qualitez, par leſquelles il eſt propre à produire ces différentes Opérations ſur diverſes parties de nos Corps.

§. 9.Trois ſortes d’Idées conſtituent nos Idées complexes des Subſtances. Il y a trois ſortes d’Idées qui forment les idées complexes que nous avons des Subſtances corporelles. Prémiérement les Idées des Prémiéres Qualitez que nous appercevons dans les choſes par le moyen des Sens, & qui y ſont lors même que nous ne les y appercevons pas, comme ſont la groſſeur, la figure, le nombre, la ſituation & le mouvement des parties des Corps qui exiſtent réellement, ſoit que nous les appercevions ou non. Il y a, en ſecond lieu, les ſecondes Qualitez qu’on appelle communément Qualitez ſenſibles, qui dépendent de ces Prémiéres Qualitez, & ne ſont autre choſe que différentes Puiſſances que ces Subſtances ont de produire diverſes idées en nous à la faveur des Sens ; idées qui ne ſont dans les choſes mêmes que de la même maniére qu’une choſe exiſte dans la cauſe qui l’a produite. Il y a, en troiſiéme lieu, l’aptitude que nous obſervons dans une Subſtance, de produire ou de recevoir tels & tels changemens de ſes Prémiéres Qualitez ; de ſorte que la Subſtance ainſi alterée excite en nous des idées, différentes de celles qu’elle y produiſoit auparavant, & c’eſt ce qu’on nomme Puiſſance active & Puiſſance paſſive ; deux Puiſſances, qui, autant que nous en avons quelque perception ou connoiſſance, ſe terminent uniquement à des Idées ſimples qui tombent ſous le Sens. Car quelque alteration qu’un Aimant ait pû produire dans les petites particules du Fer, nous n’aurons jamais aucune notion de cette puiſſance par laquelle il peut opérer ſur le Fer, ſi le mouvement ſenſible du Fer ne nous le montroit expreſſément, & je ne doute pas que les Corps que nous manions tous les jours, n’ayent la puiſſance de produire l’un dans l’autre mille changemens auxquels nous ne ſongeons en aucune maniére, parce qu’ils ne paroiſſent jamais par des effets ſenſibles.

§. 10. Il eſt donc vrai de dire, que les Puiſſances ſont une grande partie de nos Idées complexes des Subſtances. Quiconque reflêchira, par exem-