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De nos Idées Complexes

par-là qu’un mouvement qui paſſe d’un Corps à un autre Corps, ce qui eſt, je croi, auſſi obſcur & auſſi inconcevable, que la maniére dont notre Eſprit met en mouvement ou arrête notre Corps par la penſée, ce que nous voyons qu’il fait à tout moment. Et il eſt encore plus mal-aiſé d’expliquer par voye d’impulſion, l’augmentation du mouvement qu’on obſerve, ou qu’on croit arriver en certaines rencontres. L’expérience nous fait voir tous les jours des preuves évidentes du mouvement produit par l’impulſion, & par la penſée, mais nous ne pouvons guere comprendre comment cela ſe fait. Dans ces ceux cas notre Eſprit eſt également à bout. De ſorte que de quelque maniére que nous conſiderions le mouvement, & ſa communication, comme des effets produits par le Corps ou par l’Eſprit, l’idée qui appartient à l’Eſprit, eſt pour le moins auſſi claire, que celle qui appartient au Corps. Et pour ce qui eſt de la Puiſſance active de mouvoir, ou de la motivité, ſi j’oſe me ſervir de ce terme, on la conçoit beaucoup plus clairement dans l’Eſprit que dans le Corps : parce que deux Corps en repos, placez l’un auprès de l’autre, ne nous fourniront jamais ** Voy. ci-deſſus, Ch. XXI. §. 4. pag. 180. où cela eſt prouvé plus au long. l’idée d’une Puiſſance qui ſoit dans l’un de ces Corps pour remuer l’autre, autrement que par un mouvement emprunté, au lieu que l’Eſprit nous préſente chaque jour l’idée d’une Puiſſance active de mouvoir les Corps. C’eſt pourquoi ce n’eſt pas une choſe indigne de notre recherche de voir ſi la Puiſſance active eſt l’attribut propre des Eſprits, & la Puiſſance paſſive celui des Corps. D’où l’on pourroit conjecturer, que les Eſprits créez étant actifs & paſſifs tout enſemble, participent de l’un & de l’autre. Mais quoi qu’il en ſoit, les idées que nous avons de l’Eſprit, ſont, je penſe, en auſſi grand nombre & auſſi claires que celles que nous avons du Corps, la Subſtance de l’un & de l’autre nous étant également inconnuë ; & l’idée de la penſée que nous trouvons dans l’Eſprit nous paroiſſant auſſi claire que celle de l’étenduë que nous remarquons dans le Corps ; & la communication du mouvement qui ſe fait par la penſée & que nous attribuons à l’Eſprit, eſt auſſi évidente que celle qui ſe fait par impulſion & que nous attribuons au Corps. Une conſtante expérience nous fait voir ces deux communications d’une maniére ſenſible, quoi que la foible capacité de notre Entendement ne puiſſe les comprendre ni l’une ni l’autre. Car dès que l’Eſprit veut porter ſa vuë au delà de ces idées originales qui nous viennent par Senſation pour par Reflexion, pour pénétrer dans leurs cauſes & dans la maniére de leur production, nous trouvons que cette recherche ne ſert qu’à nous faire ſentir combien ſont courtes nos lumiéres.

§. 29. Enfin pour conclurre ce parallele, la Senſation nous fait connoître évidemment, qu’il y a des Subſtances ſolides & étenduës, & la Reflexion qu’il y a des Subſtances qui penſent. L’Expérience nous perſuade de l’exiſtence de ces deux ſortes d’Etres, & que l’un a la Puiſſance de mouvoir le Corps par impulſion, & l’autre par la penſée : c’eſt dequoi nous ne ſaurions douter. L’Expérience, dis-je, nous fournit à tout moment des idées claires de l’un & de l’autre : mais nos Facultez ne peuvent rien ajoûter à ces