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& de quelques autres Relations. Liv. II.

iſter ; & qu’elles reçoivent leur exiſtence de la juſte application ou opération de quelque autre Etre. Et c’eſt par cette obſervation que nous acquérons les Idées de Cauſe & d’Effet. Nous deſignons par le terme général de Cauſe, ce qui produit quelque idée ſimple ou complexe, & ce qui eſt produit, par celui d’Effet. Ainſi, après avoir vû dans la Subſtance que nous appellons Cire, la Fluidité qui eſt une idée ſimple, qui n’y étoit pas auparavant, y eſt conſtamment produite par l’application d’un certain dégré de chaleur, nous donnons à l’idée ſimple de chaleur le nom de Cauſe, par rapport à la fluidité qui eſt dans la Cire, & celui d’Effet à cette fluidité. De même, éprouvant que la Subſtance que nous appelons Bois, qui eſt une certaine collection d’Idées ſimples à qui l’on donne ce nom, eſt réduite par le moyen du Feu dans une autre Subſtance que qu’on nomme Cendre, autre idée complexe qui conſiſte dans une collection d’Idées ſimples, entierement différente de cette Idée Complexe que nous appelons Bois ; nous conſidérons le Feu par rapport aux Cendres, comme Cauſe, & les cendres comme un Effet. Ainſi, tout ce que nous conſidérons comme contribuant à la production de quelque idée ſimple ou de quelque collection d’Idées ſimples, ſoit Subſtance ou Mode qui n’exiſtoit point auparavant, excite par-là dans notre Eſprit la relation d’une Cauſe, & nous lui en donnons le nom.

§. 2.Ce que c’eſt que Création, Génération, Faire, & Alteration. Après avoir ainſi acquis la notion de la Cauſe & de l’Effet, par le moyen de ce que nos Sens ſont capables de découvrir dans les Opérations des Corps l’un à l’égard de l’autre, c’eſt-à-dire, après avoir compris que la Cauſe eſt ce qui fait qu’une autre choſe, ſoit idée ſimple, Subſtance, ou Mode, commence à exiſter ; & qu’un Effet eſt ce qui tire ſon origine de quelque autre choſe ; l’Eſprit ne trouve pas grand’ difficulté à diſtinguer les différentes origines des Choſes en deux eſpèces.

Premiérement, lorsque la choſe eſt tout-à-fait nouvelle, de ſorte que nulle de ſes parties n’avoit exiſté auparavant, (comme lorsqu’une nouvelle particule de Matiére qui n’avoit eu auparavant aucune exiſtence, commence à paroître dans la nature des Choſes) c’eſt ce que nous appellons Création.

En ſecond lieu, quand une choſe eſt compoſée de particules qui exiſtoient toutes auparavant, quoi que la choſe même ainſi formée de parties préexiſtantes, qui conſiderées dans cet aſſemblage compoſent une telle collection d’idée ſimples, n’eût point exiſté auparavant, comme cet homme, cet œuf, cette roſe, cette ceriſe, &c. ſi cette eſpèce de formation ſe rapporte à une Subſtance produite ſelon le cours ordinaire de la Nature, par un Principe interne qui eſt mis en œuvre par quelque Agent ou quelque Cauſe extérieure, d’où elle reçoit ſa forme par des voyes que nous n’appercevons pas, nous nommons cela Génération : ſi la cauſe eſt extérieure, & que l’Effet ſoit produit par une ſeparation ſenſible, ou une juxtapoſition de parties qui puiſſent être diſcernées, nous appellons cela faire ; & dans ce rang ſont toutes les Choſes Artificielles : & ſi une idée ſimple, qui n’étoit pas auparavant dans un Sujet, y eſt produite, c’eſt ce qu’on nomme Alteration. Ainſi, un homme eſt engendré, un Tableau fait, & l’une ou l’autre de ces choſes est alterée lorsque dans l’une ou l’autre il ſe fait une production de quelque nouvelle Qualité ſenſible, ou Idée ſimple qui n’y étoit pas aupara-