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& de quelques autres Relations. Liv. II.

ans, & fort jeune à l’âge de ſept ans : cependant nous appelons vieux, un Cheval qui a vingt ans, & un Chien qui en a ſept ; parce que nous comparons l’âge de chacun de ces Animaux à différentes idées de Durée que nous avons fixé dans notre Eſprit, comme appartenant à ces diverſes eſpèces d’Animaux, ſelon le cours ordinaire de la Nature. Car quoi que le Soleil & les Etoiles ayent duré depuis quantité de générations d’hommes, nous ne diſons pas que ces Aſtres ſoient vieux, parce que nous ne ſavons pas quelle durée Dieu a aſſigné à ces ſortes d’Etres. Le terme de vieux appartenant proprement aux choſes dont nous pouvons obſerver ſuivant le cours ordinaire, que deperiſſant naturellement elles viennent à finir dans une certaine période de temps, nous avons par ce moyen-là une eſpèce de meſure dans l’eſprit à laquelle nous pouvons comparer les differentes parties de leur Durée, & c’eſt en vertu de ce rapport que nous les appellons jeunes ou vieilles ; ce que nous ne ſaurions faire par conſéquent à l’égard d’un Rubis ou d’un Diamant, parce que nous ne connoiſſons pas les périodes ordinaires de leur Durée.

§. 5.Les Relations du Lieu & de l’Etenduë. Il eſt auſſi fort aiſé d’obſerver la relation que les choſes ont l’une à l’autre à l’occaſion des Lieux qu’elles occupent & de leurs diſtances, comme quand on dit qu’une choſe eſt en haut, en bas, à une lieuë de Verſailles, en Angleterre, à Londres, &c. Mais il y a certaines Idées concernant l’Etenduë & la Grandeur, qui ſont Relatives, auſſi bien que celles qui appartiennent à la Durée, quoi que nous les exprimions par des termes qui paſſent pour poſitifs. Ainſi grand & petit ſont des termes effectivement Relatifs. Car ayant auſſi fixé dans notre Eſprit des idées de la grandeur de différentes eſpèces de choſes que nous avons ſouvent obſervées, & cela, par le moyen de celles de chaque eſpèce qui nous ſont le plus connuës nous nous ſervons de ces Idées comme d’une Meſure pour déſigner la grandeur de toutes les autres de la même eſpèce. Ainſi, nous appellons une groſſe Pomme celle qui eſt plus groſſe que l’Eſpèce ordinaire de celles que nous avons accoûtumé de voir : nous appellons de même un petit Cheval celui qui n’égale pas l’idée que nous nous ſommes faite de la grandeur ordinaire des Chevaux, & un Cheval qui ſera grand ſelon l’idée d’un Gallois paroît fort petit à un Flamand, parce que les différentes races de Chevaux qu’on nourrit dans leurs Païs, leur ont donné différentes idées de ces Animaux, auxquelles ils les comparent, & à l’égard deſquelles ils les appellent grands & petits.

§.6.Des termes abſolus ſignifient ſouvent des Relations. Les mots, fort & foible, ſont auſſi des dénominations relatives de Puiſſance, comparées à quelque idée que nous avons alors d’une Puiſſance plus ou moins grande. Ainſi, quand nous diſons d’un homme qu’il eſt foible, nous entendons qu’il n’a pas tant de force, ou de puiſſance de mouvoir, que les hommes en ont ordinairement, ou que ceux de ſa taille ont accoûtumé d’en avoir ; ce qui eſt comparer ſa force avec l’idée que nous avons de la force ordinaire des hommes, ou de ceux qui ſont de la même grandeur que lui. Il en eſt de même quand nous diſons, que toutes les Créatures ſont foibles : car dans cette occaſion le terme de foible eſt purement relatif, & ne ſignifie autre choſe que la disproportion qu’il y a entre la Puiſſance de Dieu & de ſes Créatures. Et dans le Diſcours ordinaire,