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diſtinctes & confuſes. Liv. II.

claires & diſtinctes ne tombent que ſur les nombres, mais que nos idées claires & diſtinctes d’Etenduë ſe perdant entiérement après quelques dégrez de diviſion, ſans qu’il nous reſte aucune idée diſtincte de telles & telles parcelles, notre Idée ſe termine comme toutes celles que nous pouvons avoir de l’Infini, à l’idée du Nombre ſuſceptible de continuelles additions, ſans arriver jamais à une idée diſtincte de partie actuellement infinies dans la Matiére, que nous avons d’un Nombre infini dès-là que nous pouvons ajoûter de nouveaux nombres à tout nombre donné qui eſt préſent à notre Eſprit, car la diviſibilité à l’infini ne nous donne pas plûtôt une idée claire & diſtincte de parties actuellement infinies, que cette addibilité ſans fin, ſi j’oſe m’exprimer ainſi, nous donne une idée claire & diſtincte d’un nombre actuellement infini ; puiſque l’une & l’autre n’eſt autre choſe qu’une capacité de recevoir ſans ceſſe une augmentation de nombre, que le nombre ſoit déja ſi grand qu’on voudra. De ſorte que pour ce qui reſte à ajoûter (en quoi conſiſte l’inifinité) nous n’en avons qu’une idée obſcure, imparfaite & confuſe, ſur laquelle nous ne ſaurions non plus raiſonner avec aucune certitude ou clarté que nous pouvons raiſonner dans l’Arithmetique ſur un nombre dont nous n’avons pas une idée auſſi diſtincte que de quatre ou de cent, mais ſeulement une idée obſcure & purement relative qui eſt que ce nombre comparé à quelque autre que ce ſoit, eſt toûjours plus grand que 400, 000, 000, nous n’en avons pas une idée plus claire & plus poſitive que ſi nous diſions qu’il eſt plus grand que 40, ou que 4 : parce que 400, 000, 000 n’a pas une plus prochaine proportion avec la fin de l’Addition ou du Nombre, que 4. Car celui qui ajoûte ſeulement 4 à 4, & avance de cette maniére, arrivera auſſi-tôt à la fin de toute Addition que celui qui ajoûte 400, 000, 000 à 400, 000. 000. Il en eſt de même à l’égard de l’Eternité : celui qui a une idée de 4 ans ſeulement, a une idée de l’Eternité auſſi poſitive & auſſi complete, que celui qui en a une de 400, 000, 000 d’années ; car ce qui reſte de l’Eternité au delà de l’un & de l’autre de ces deux nombres d’Années, eſt auſſi clair à l’égard de l’une de ces perſonnes qu’à l’égard de l’autre, c’eſt-à-dire que nul d’eux n’en a abſolument aucune idée claire & poſitive. En effet, celui qui ajoûte 400, 000, 000 d’années & ainſi de ſuite, ou qui, s’il le trouve à propos, double le produit auſſi ſouvent qu’il lui plairra : l’Abyme qui reſte à remplir, étant toûjours autant au delà de la fin de toutes ces progreſſions qu’il ſurpaſſe la longueur d’un jour ou d’une heure. Car rien de ce qui eſt fini, n’a aucune proportion avec l’Infini ; & par conſéquent cette proportion ne ſe trouve point dans nos Idées de l’Etenduë par voye d’addition & que nous voulons comprendre par nos penſées un Eſpace infini, il nous arrive la même choſe que lorsque nous diminuons cette idée par le moyen de la diviſion. Après avoir doublé peu de fois les idées d’étenduë