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Remedes contre l’Imperfection

ce de telle ou telle Eſpèce de choſes, ainſi de rectifier & de fixer par-là notre idée complexe qui appartient à chaque Nom ſpécifique : & dans nos entretiens avec les autres hommes (ſi nous voyons qu’ils prennent mal notre penſée) nous devons leur dire quelle eſt l’idée complexe que nous faiſons ſignifier à un tel Nom. Tous ceux qui cherchent à s’inſtruire exactement des choſes, ſont d’autant plus obligez d’obſerver cette méthode, que les Enfans apprenant les Mots quand ils n’ont que des notions fort imparfaites des choſes, les appliquent au hazard, & ſans ſonger beaucoup à former des idées déterminées que ces mots doivent ſignifier. Comme cette coûtume n’engage à aucun effort d’Eſprit & qu’on s’en accommode aſſez bien dans la Conſervation & dans les affaires ordinaires de la vie, ils ſont ſujets à continuer de la ſuivre après qu’ils ſont hommes faits, & par ce moyen ils commencent tout à rebours, apprenant en prémier lieu les mots, & parfaitement, mais formant fort groſſiérement les notions auxquelles ils appliquent ces mots dans la ſuite. Il arrive par-là que des gens qui parlent la Langue de leur Païs proprement, c’eſt-à-dire ſelon les regles grammaticales de cette Langue, parlent pourtant fort improprement des choſes mêmes : de ſorte que malgré tous les raiſonnemens qu’ils font entr’eux, ils ne découvrent pas beaucoup de véritez utiles, & n’avancent que fort peu dans la connoiſſance des Choſes, à les conſiderer comme elles ſont en elles-mêmes, & non dans notre propre imagination. Et dans fond, peu importe pour l’avancement de nos connoiſſances, comment on nomme les choſes qui en doivent être le ſujet.

§. 25.Il n’eſt pas aiſé de les rendre telles. C’eſt pourquoi il ſeroit à ſouhaiter que ceux qui ſe ſont exercez à des Recherches Phyſiques & qui ont une connoiſſance particuliére de diverſes ſortes de Corps naturels, vouluſſent propoſer les idées ſimples dans leſquelles ils obſervent que les Individus de chaque Eſpèce conviennent conſtamment. Cela remedieroit en grande partie à cette confuſion que produit l’uſage que différentes perſonnes font du même nom pour déſigner une collection d’un plus grand ou d’un plus petit nombre de Qualitez ſenſibles, ſelon qu’ils ont été plus ou moins inſtruits des Qualitez d’une telle Eſpèce de Choſes qui paſſent ſous une ſeule dénomination, ou qu’ils ont été plus ou moins exacts à les examiner. Mais pour compoſer un Dictionnaire de cette eſpèce qui contînt, pour ainſi dire, une Hiſtoire Naturelle, il faudroit trop de perſonnes, trop de temps, trop de dépenſe, trop de peine & trop de ſagacité pour qu’on puiſſe jamais eſperer de voir un tel Ouvrage : & juſqu’à ce qu’il ſoit fait, nous devons nous contenter de définitions des noms des Subſtances qui expliquent le ſens que leur donnent ceux qui s’en ſervent. Et ce ſeroit un grand avantage, s’ils vouloient nous donner ces définitions, lorſqu’il eſt néceſſaire. C’eſt du moins ce qu’on n’a pas accoûtumé de faire. Au lieu de cela les hommes s’entretiennent & diſputent ſur des Mots dont le ſens n’eſt point fixé entr’eux, s’imaginant fauſſement que la ſignification des Mots communs eſt déterminée inconteſtablement, & que les idées préciſes que ces mots ſignifient, ſont