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Des Propoſitions univerſelles,

Puiſſances que nous voyons dans ces Animaux, puiſque pour en avoir une parfaite connoiſſance il nous faudroit regarder non ſeulement au delà de cette Terre & de notre Atmoſphere, mais meme au delà du Soleil, ou des Etoiles les plus éloignées que nos yeux ayent encore pû découvrir : car il nous eſt impoſſible de déterminer juſqu’à quel point l’exiſtence & l’operation des Subſtances particuliéres qui ſont dans notre Globe dépendent de Cauſes entierement éloignées de notre vuë. Nous voyons & nous appercevons quelques mouvemens & quelques operations dans les choſes qui nous environnent : mais de ſavoir d’où viennent ces flux de Matiére qui conſervent en mouvement & en état toutes ces admirables Machines, comment ils ſont conduits & modifiez, c’eſt ce qui paſſe notre connoiſſance & toute la capacité de notre Eſprit ; de ſorte que les grandes parties, & les rouës, ſi j’oſe ainſi dire, de ce prodigieux Bâtiment que nous nommons l’Univers, peuvent avoir entr’elles une telle connexion & une telle dépendance dans leurs influences & dans leurs operations (car nous ne voyons rien qui aille à établir le contraire) que les Choſes qui ſont ici dans le coin que nous habitons, prendroient peut-être une toute autre face, & ceſſeroient d’être ce qu’elles ſont, ſi quelqu’une des Etoiles ou quelqu’un de ces vaſtes Corps qui ſont à une diſtance inconcevable de nous, ceſſoit d’etre, ou de ſe mouvoir comme il fait. Ce qu’il y a de certain, c’eſt que les Choſes, quelque parfaites & entiéres qu’elles paroiſſent en elles-mêmes, ne ſont pourtant que des apanages d’autres parties de la Nature, par rapport à ce que nous y voyons de plus remarquable : car leurs Qualitez ſenſibles, leurs actions & leurs puiſſances dépendent de quelque choſe qui leur eſt extérieur. Et parmi tout ce qui fait partie de la Nature, nous ne connoiſſons rien de ſi complet & de ſi parfait qui ne doive ſon exiſtence & ſes perfections à d’autres Etres qui ſont dans ſon voiſinage : de ſorte que pour comprendre parfaitement les Qualitez qui ſont dans un Corps, il ne faut pas borner nos penſées à la conſideration de ſa ſurface, mais porter notre vuë beaucoup plus loin.

§. 12. Si cela eſt ainſi, il n’y a pas lieu de s’étonner que nous ayions des idées fort imparfaites des Subſtances ; & que les Eſſences réelles d’où dépendent leurs propriétez & leurs opérations, nous ſoient inconnuës. Nous ne pouvons pas même découvrir quelle eſt la groſſeur, la figure & la contexture des petites particules actives qu’elles ont réellement, & moins encore les différens mouvemens que d’autres Corps extérieurs communiquent à ces particules, d’où dépend & par où ſe forme la plus grande & la plus remarquable partie des Qualitez que nous obſervons dans ces Subſtances, & qui conſtituent les Idées complexes que nous en avons. Cette ſeule conſideration ſuffit pour nous faire perdre toute eſpérance d’avoir jamais des idées de leurs eſſences réelles, au défaut deſquelles les Eſſences nominales que nous leur ſubſtituons, ne ſeront guere propres & nous donner aucune Connoiſſance générale, ou à nous fournir des Propoſitions univerſelles, capables d’une certitude réelle.

§. 13.Le Jugement peut s’étendre plus avant, mais ce n’eſt pas Connoiſſance. Nous ne devons donc pas être ſurpris qu’on ne trouve de certitude que dans un très-petit nombre de Propoſitions générales qui re-