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De l’Exiſtence des autres Choſes. Liv. IV.

pas plus néceſſaire que l’Eau doive exiſter aujourd’hui parce qu’elle exiſtoit hier, qu’il eſt néceſſaire que ces Couleurs ou ces Bulles-là exiſtent aujourd’hui parce qu’elles exiſtoient hier, quoi qu’il ſoit infiniment plus probable que l’Eau exiſte ; parce qu’on a obſervé que l’Eau continuë longtemps en exiſtence, & que les Bulles qui ſe forment ſur l’Eau, & les couleurs qu’on y remarque, diſparoiſſent bientôt.

§. 12.L’exiſtence des Eſprits ne peut nous être connue par elle-même. J’ai déja montré quelles idées nous avons des Eſprits & comment elles nous viennent. Mais quoi que nous ayions ces Idées dans l’Eſprit, & que nous ſachions qu’elles y ſont actuellement, cependant ce que nous avons ces idées ne nous fait pas connoître qu’aucune telle choſe exiſte hors de nous, ou qu’il y ait aucuns Eſprits finis, ni aucun autre Etre ſpirituel que Dieu. Nous ſommes autoriſez par la Revelation & par pluſieurs autres raiſons à croire avec aſſûrance qu’il y a de telles créatures ; mais nos Sens n’étant pas capables de nous les découvrir, nous n’avons aucun moyen de connoître leurs exiſtences particulières. Car nous ne pouvons non plus connoître qu’il y ait des Eſprits finis réellement exiſtans par les idées que nous avons en nous-mêmes de ces ſortes d’Etres, qu’un homme peut venir à connoître par les idées qu’il a des Fées ou des Centaures qu’il y a des choſes actuellement exiſtantes, qui répondent à ces Idées.

Et par conſéquent ſur l’exiſtence des Eſprits auſſi bien que ſur pluſieurs autres choſes nous devons nous contenter de l’évidence de la Foi. Pour des Propoſitions univerſelles & certaines ſur cette matiére, elles ſont au delà de notre portée. Car par exemple, quelque véritable qu’il puiſſe être, que tous les Eſprits intelligens que Dieu ait jamais créé, continuent encore d’exiſter, cela ne ſauroit pourtant jamais faire partie de nos Connoiſſances certaines. Nous pouvons recevoir ces Propoſitions & autres ſemblables comme extrêmement probables : mais dans l’état où nous ſommes, je doute que nous puiſſions les connoître certainement. Nous ne devons donc pas demander aux autres des Démonſtrations, ni chercher nous-mêmes une certitude univerſelle ſur toutes ces matiéres, où nous ne ſommes capables de trouver aucune autre connoiſſance que celle que nos Sens nous fourniſſent dans tel ou tel exemple particulier.

§. 13.Il y a des Propoſitions particuliéres ſur l’exiſtence qu’on peut connoître. D’où il paroit qu’il y a deux ſortes de Propoſitions. I. L’une eſt de Propoſitions qui regardent l’exiſtence d’une choſe qui réponde à une telle idée ; comme ſi j’ai dans mon Eſprit l’idée d’un Elephant, d’un Phénix, du Mouvement ou d’un Ange, la prémiére recherche qui ſe préſente naturellement, c’eſt, ſi une telle choſe exiſte quelque part. Et cette connoiſſance ne s’étend qu’à des choſes particuliéres. Car nulle exiſtence de choſes hors de nous, excepté ſeulement l’exiſtence de Dieu, ne peut être connuë certainement au delà de ce que nos Sens nous en apprennent. II. Il y a une autre ſorte de Propoſitions où eſt exprimée la convenance ou la disconvenance de nos Idées abſtraites & la dépendance qui eſt entre elles. De telle Propoſi-