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Des Moyens d’augmenter notre Connoiſſance.Liv. IV.


CHAPITRE XII.

Des Moyens d’augmenter notre Connoiſſance.


§. 1.La Connoiſſance ne vient pas des Maximes.
* Pracognisa.

CA été une opinion reçuë parmi les Savans, que les Maximes ſont les fondemens de toute connoiſſance, & que chaque Science en particulier eſt fondée ſur certaines choſes * déja connuës, d’où l’Entendement doit emprunter ſes prémiers rayons de lumiére, & par où il doit ſe conduire dans ſes recherches ſur les matiéres qui appartiennent à cette Science ; c’eſt pourquoi la grande routine des Ecoles a été de poſer, en commençant à traiter quelque matiére, une ou pluſieurs Maximes générales comme les fondemens ſur lesquels on doit bâtir la connoiſſance qu’on peut avoir ſur ce ſujet. Et ces Doctrines ainſi poſées pour fondement de quelque Science, ont été nommées Principes, comme étant les prémiéres choſes d’où nous devons commencer nos recherches, ſans remonter plus haut, comme nous l’avons déja remarqué.

§. 2.De l’occaſion de cette opinion. Une choſe qui apparemment a donné lieu à cette méthode dans les autres Sciences, ç’a été, je penſe, le bon ſuccès qu’elle ſemble avoir dans les Mathematiques qui ont été ainſi nommées par excellence du mot Grec Μαθήματα, qui ſignifie Choſes appriſes, exactement & parfaitement appriſes, cette Science ayant un plus grand dégré de certitude, de clarté, & d’évidence qu’aucune autre Science.

§. 3.La connoiſſance vient de la comparaiſon des Idées claires & diſtinctes. Mais je crois que quiconque conſidérera la choſe avec ſoin, avoûera que les grands progrès & la certitude de la Connoiſſance réelle où les hommes parviennent dans les Mathematiques, ne doivent point être attribuez à l’influence de ces Principes, & ne procedent point de quelque avantage particulier que produiſent deux ou trois Maximes générales qu’ils ont poſé au commencement, mais des idées claires, diſtinctes, & complettes qu’ils ont dans l’Eſprit, & du rapport d’égalité & d’inégalité qui eſt ſi évident entre quelques-unes de ces Idées, qu’ils le connoiſſent intuïtivement, par où ils ont un moyen de découvrir dans d’autres idées, & cela ſans le ſecours de ces Maximes. Car je vous prie, un jeune Garçon ne peut-il connoître qu’ayant reçu un ſou d’une perſonne qui lui en doit trois, & encore un ſou d’une autre perſonne qui lui doit auſſi trois ſous, le reſte de ces deux dettes eſt égal, ne peut-elle point, dis-je, connoître cela ſans en déduire la certitude de cette Maxime, que ſi de choſes égales vous en ôtez des choſes égales, ce qui reſte, eſt égal ; maxime dont elle n’a peut-être jamais ouï parler, ou qui ne s’eſt jamais préſentée à ſon Eſprit ? Je prie mon Lecteur de conſiderer ſur ce qui a été dit ailleurs, lequel des deux eſt connu le prémier & le plus clairement par la plûpart des hommes, un exemple par-