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De l’Enthouſiaſme. Liv. IV.

qui ſont évidentes par elles-mêmes) conſiſtant uniquement dans les preuves qu’un homme en a, il eſt clair que quelques dégrez d’aſſentiment qu’il lui donne au delà des dégrez de cette évidence, tout ce ſurplus d’aſſûrance eſt dû à quelque autre paſſion, & non à l’amour de la Vérité emporte mon aſſentiment au deſſus de l’évidence que j’ai qu’une telle Propoſition eſt véritable, qu’il eſt impoſſible que l’amour de la Vérité me faſſe donner mon conſentement à une Propoſition en conſideration d’une évidence qui ne me fait pas voir que cette Propoſition comme une vérité, parce qu’il eſt poſſible ou probable qu’elle ne ſoit pas véritable. Dans toute vérité qui ne s’établit pas dans notre Eſprit par la lumiére irréſiſtible d’une ** Voyez la note qui eſt à la page 488. pour ſavoir ce qu’il faut entendre par cette expreſſion. évidence immédiate, ou par la force d’une Démonſtration, les argumens qui entraînent ſon aſſentiment, ſont les garants & le gage de ſa probabilité à notre égard, & nous ne pouvons la recevoir que pour ce que ces Argumens la font voir à notre Entendement ; de ſorte que quelque autorité que nous donnions à une Propoſition, au delà de ce qu’elle reçoit des Principes & des preuves ſur quoi elle eſt appuyée, on en doit attribuer la cauſe au penchant qui nous entraîne de ce côté-là ; & c’eſt déroger d’autant à l’amour de la Vérité, qui ne pouvant recevoir aucune évidence de nos paſſions, n’en doit recevoir non plus aucune teinture.

§. 2.D’où vient le penchant que les hommes ont d’impoſer leurs opinions aux autres. Une ſuite conſtante de cette mauvaiſe diſpoſition d’Eſprit, c’eſt de s’attribuer l’autorité de preſcrire aux autres nos propres opinions. Car le moyen qu’il puiſſe preſque arriver autrement, ſinon que celui qui a déjà impoſé à ſa propre Croyance, ſoit prêt d’impoſer à la Croyance d’autrui ? Qui peut attendre raiſonnablement, qu’un homme employe des Argumens & des preuves convaincantes auprès des autres hommes, ſi ſon Entendement n’eſt pas accoûtumé à s’en ſervir pour lui-même ; s’il fait violence à ſes propres Facultez, s’il tyranniſe ſon Eſprit & uſurpe une prérogative uniquement duë à la Vérité, qui eſt d’exiger l’aſſentiment de l’Eſprit par ſa ſeule autorité, c’eſt-à-dire à proportion de l’évidence que la Vérité emporte avec elle.

§. 3.La force de l’Enthouſiaſme. A cette occaſion je prendrai la liberté de conſiderer un troiſiéme fondement d’aſſentiment, auquel certaines gens attribuent la même autorité qu’à la Foi ou à la Raiſon, & ſur lequel ils s’appuyent avec une auſſi grande confiance ; je veux parler de l’Enthouſiaſme, qui laiſſant la Raiſon à quartier, voudroit établir la Revelation ſans elle, mais qui par-là détruit en effet la Raiſon & la Revelation tout à la fois, & leur ſubſtituë de vaines fantaiſies, qu’un homme a forgées lui-même, & qu’il prend pour un fondement ſolide de croyance & de conduite.

§. 4.Ce que c’eſt que la Raiſon & la Revelation. La Raiſon eſt une Revelation naturelle, par où le Pére de Lumiére, la ſource éternelle de toute Connoiſſance, communique aux hommes cette portion de vérité qu’il a miſe à la portée de leurs Facultez naturelles. Et la Revelation eſt la Raiſon naturelle augmentée par un nouveau fonds de découvertes émanées immédiatement de Dieu, & dont la Raiſon établit la