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de Principes innez. Liv. I.

vention de la Memoire, mais l’Eſprit le trouve en lui-même, & connoit qu’il y étoit auparavant. On peut éprouver par-là s’il y a aucune idée dans l’Eſprit avant l’impreſſion faite par Senſation, ou par Réflexion. Du reſte je voudrois bien voir un homme, qui étant parvenu à l’âge de raiſon, ou dans quelque autre temps que ce ſoit, ſe reſſouvînt de quelqu’une de ces Idées qu’on prétend être innées ; & auquel elles n’auroient jamais paru nouvelles depuis ſa naiſſance. Que ſi quelqu’un prétend ſoûtenir qu’il y a dans l’Eſprit des Idées qui ne ſont pas dans la Mémoire, je le prierai de s’expliquer, & de me faire comprendre ce qu’il entend par-là.

§. 21.Les Principes qu’on veut faire paſſer pour innez, ne le ſont pas, parce qu’ils ſont de peu d’uſage, ou d’une évidence peu ſenſible. Outre ce que j’ai déja dit, il y a une autre raiſon qui me fait douter ſi ces Principes que je viens d’examiner, ou quelque autre que ce ſoit, ſont véritablement innez. Comme je ſuis pleinement convaincu que Dieu qui eſt infiniment ſage, n’a rien fait qui ne ſoit parfaitement conforme à ſon infinie ſageſſe, je ne ſaurois voir pourquoi l’on devroit ſuppoſer, que Dieu imprime certains Principes univerſels dans l’Ame des hommes, puiſque les Principes de ſpéculation qu’on prétend être innez, ne ſont pas d’un fort grand uſage, & que ceux qui concernent la pratique, ne ſont point évidens par eux-mêmes ; & que les uns ni les autres ne peuvent être diſtinguez de quelques autres véritez qui ne ſont pas reconnuës pour innées. Car pourquoi Dieu auroit-il gravé de ſon propre doigt dans l’Ame des Hommes, des caractéres qui n’y paroiſſent pas plus nettement, que ceux qui y ſont introduits dans la ſuite, ou qui même ne peuvent être diſtinguez de ces derniers ? Que ſi quelqu’un croit qu’il y a effectivement des Idées & des Propoſitions innées, qui par leur clarté & leur utilité peuvent être diſtinguées de tout ce qui vient de dehors dans l’Eſprit, & dont on a une connoiſſance acquiſe, il n’aura pas de peine à nous dire quelles ſont ces Propoſitions & ces Idées, & alors tout le monde ſera capable de juger, ſi elles ſont véritablement innées ou non. Car s’il y a de telles idées qui ſoient viſiblement différentes de toute autre perception ou connoiſſance, chacun pourra s’en convaincre par lui-même. J’ai déja parlé de l’évidence des Maximes qu’on ſuppoſe innées ; & j’aurai occaſion de parler plus au long de leur utilité.

§. 22.La différence des découvertes que ſont les hommes, dépend du différent uſage qu’ils font de leurs Facultez. Pour conclurre : il y a quelques Idées qui ſe préſentent d’abord comme d’elles-mêmes à l’Entendement de tous les Hommes, & certaines véritez qui reſultent de quelques Idées dès que l’Eſprit joint ces idées enſemble pour en faire des Propoſitions. Il y a d’autres véritez qui dépendent d’une ſuite d’idées, diſpoſées en bon ordre, de l’exacte comparaiſon qu’on en fait, & de certaines déductions faites avec ſoin, ſans quoi l’on ne peut les découvrir, ni leur donner ſon conſentement. Certaines véritez de la prémiere eſpèce ont été regardées mal à propos comme innées, parce qu’elles ſont reçuës généralement & ſans peine. Mais la vérité eſt, que les Idées, quelles qu’elles ſoient, ne ſont pas plus nées avec nous, que les Arts & les Sciences : quoi qu’il y en ait effectivement quelques-unes qui ſe préſentent plus aiſément à notre Eſprit que d’autres, & qui par conſéquent ſont plus généralement reçuës, bien qu’au reſte elles ne viennent à notre connoiſſance, qu’en conſéquence de l’uſage que nous faiſons des Organes de notre Corps & des Facultez de notre Ame : Dieu ayant donné aux