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L’AGONIE

homme court, gros, à face ronde de pleine lune, qui portait sur son chiridota un diploïs rayé de brun et était coiffé d’une calantica aux ailes retombantes, prenait à part Madeh, respectueusement, doucement, devinant en lui un prêtre du Soleil !

— Toi aussi, tu vas à Rome, comme moi, comme Aristès et Nicodœmès, ces Grecs ! Et, cependant, ton maître paraît triste, alors que nous tous sommes joyeux de visiter la Ville que le Tibre arrose, mais qui n’a pas le charme d’Alexandrie. Connais-tu Alexandrie ? Moi, si je me rends à Rome, c’est pour la comparer à ma ville où je retournerai bien vite, car, Rome, n’est-ce pas le lieu de perdition des hommes qui doivent rester prudents, ainsi que je dois l’être, moi, Amon ?

Et comme il continuait, verbeux, jusqu’à le tirer par une manche ample pour mieux solliciter son attention, Madeh secoua la tête et le quitta pour rejoindre Atillius toujours immobile, toujours regardant devant lui, emporté par le navigium qu’à présent remorquaient deux embarcations engagées dans la corne de Brundusium, au port encore obstrué de pierres et de navires pourris qu’y avait jadis coulés Cæsar. Les avoisinements de la ville se détachaient : des pêcheurs remmaillaient leurs filets sur le rivage semé de débris de planches ; au fond d’une crique en hiatus, des charpentiers taillaient des mâts et des ais ; sur de hautes poupes de navires accotés au quai, des vêtements séchaient, et des esclaves, au torse luisant, aux biceps gonflés, comblaient les interstices des blocs d’un môle rongé par les flots, par des coufins de pierrailles qui sonnaient en tombant.

Atillius et Madeh prirent place dans une barque à l’aplustre semblable à l’évasement d’une lyre géante, qui les emporta rapidement à travers un monde de vaisseaux. C’étaient des trirèmes aux mâts courts, bonnes pour la guerre, dont les rangées de rames se profilaient rythmiquement ; des cataphractes pontés et des aphractes sans pont, puis des navires marchands arrivés à peine ou se disposant à partir ; des actuariaires, dont on se servait pour la course ou les découvertes, des phaselus, qui venaient de la