Page:London - Croc-Blanc, 1923.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

en l’attachant au bout de la plus longue corde. Lip-Lip en devint, du coup, le leader de la troupe. C’était, en apparence, un honneur. En réalité, loin de commander aux autres chiens, il devenait le but de leurs persécutions et de leur haine.

La troupe ne voyait de lui, en effet, que le large panache de sa queue et ses pattes de derrière, qui détalaient sans répit, spectacle beaucoup moins intimidant que n’était auparavant celui de sa crinière hérissée et de ses crocs étincelants. Les chiens, en l’apercevant toujours dans cette posture, ne manquèrent pas, dans leur raisonnement, de conclure qu’il avait peur d’eux et qu’il les fuyait, ce qui leur donna immédiatement l’envie de lui courir sus.

Dès l’instant où le traîneau s’ébranla, tout l’attelage partit aux trousses de Lip-Lip, en une chasse effrénée et qui dura le jour entier. Il avait été tenté d’abord de se retourner vers ses poursuivants, jaloux de sa dignité offensée et plein de courroux. Mais chaque fois qu’il l’essayait, le fouet de cariboo[1], long de trente pieds, que maniait Mit-Sah, lui cinglait la figure, le contraignant à reprendre sa place et à repartir au triple galop. Lip-Lip aurait pu faire face à la troupe des chiens, mais il ne pouvait affronter ce fouet terrible, qui ne lui laissait d’autre alternative que de garder sa corde tendue et ses flancs à l’abri des dents de ses compagnons.

Une ruse encore meilleure vint à l’esprit du

  1. Long fouet fait avec les intestins du cariboo, ou caribou, sorte de renne de l’Amérique du Nord. (Note des Traducteurs.)