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JACK LONDON

les efforts auxquels il se livrait pour se donner les manières d’un homme bien né étaient à vomir, sinon à crever de rire.

Alors que nous n’étions que tous les trois dans la cabine, il feignait de ne pas me voir, comme si j’étais indigne d’un regard de ses yeux lavés, où flottaient vaguement des prunelles béates, emplies de visions bienheureuses.

— Hump, allez chercher les cartes ! m’ordonna Loup Larsen, en s’asseyant devant la table. Apportez aussi des cigares et le whisky, que vous trouverez dans l’armoire de ma couchette.

Je revins dans la cabine avec les cartes, la bouteille et la boîte à cigares, juste à temps pour entendre le coq suggérer confidentiellement à Loup Larsen qu’un mystère entourait sa naissance, qu’il était probablement le fils naturel d’un gentleman authentique, qui avait eu un caprice inavouable, et qu’on lui faisait parvenir une rente secrète, en échange de quoi il consentait à se tenir éloigné de l’Angleterre.

— Oui, capitaine, expliquait-il. Et j’ai reçu la forte somme pour déguerpir et me faire oublier…

J’avais apporté des verres à liqueur ordinaires. En les voyant, Loup Larsen fronça les sourcils, secoua la tête et, réunissant en creux ses deux mains, me fit signe d’aller chercher des gobelets.

Il les remplit aux trois quarts de whisky pur — une vraie boisson de gentleman, observa Thomas Mugridge — et les deux hommes trinquèrent

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