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JACK LONDON

Et, d’un autre point de vue, toute cette scène était risible et puérile. Aiguise, aiguise, aiguise, Humphrey Van Weyden ! Aiguise ton poignard dans cette cuisine de goélette et, comme ton adversaire, essaye le fil de ta lame sur ton pouce !

De toutes les situations où je m’étais trouvé, depuis l’engloutissement du ferry-boat qui me ramenait à San Francisco, celle-ci était, vue de sang-froid, la plus inconcevable. Parmi les gens que je fréquentais jadis, nul ne l’aurait crue possible. Que moi, la « chiffe molle », comme on me surnommait pour mon sybaritisme endurci, j’en sois arrivé où j’en étais présentement, voilà qui excitait ma propre stupéfaction ! Et Van Weyden aurait été incapable de dire s’il devait s’enorgueillir du changement qui s’était opéré en lui, ou en rougir.

Mais rien n’arriva.

Au bout des deux heures, Thomas Mugridge, mettant de côté son couteau et sa pierre, me tendit la main.

— À quoi ça sert, dit-il, de nous donner en spectacle à toutes ces sales gueules et d’amuser la galerie ? Ils peuvent pas nous sentir et seraient ravis de nous voir nous couper la gorge ! Hump, t’es pas un mauvais gars. T’as du cœur au ventre, comme un vrai Yankee, et, d’une façon, tu me bottes. Allons, tends-moi la pogne…

Sans être très brave, j’étais tout de même moins lâche que le coq. C’était, je le compris, une victoire

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