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JACK LONDON

volonté de Loup Larsen me laissa rêveur. Je me sentais bien embarrassé pour lui expliquer, à brûle-pourpoint, la situation et lui faire comprendre quel était exactement l’homme bizarre et redoutable qui nous commandait, comme il commandait à la mer et au Destin. Je me contentai de répondre :

— Avec un autre capitaine, je pourrais vous affirmer que nous vous débarquerions demain au plus tard à Yokohama. Mais le nôtre est assez particulier et vous ferez bien de vous attendre à tout. Oui, je dis bien, à tout !

Elle répliqua, avec un regard légèrement étonné, mais sans effroi :

— Quoi ? que voulez-vous dire ? J’avais toujours pensé, jusqu’ici, que les naufragés sont l’objet de toute la considération de ceux qui les recueillent. Me suis-je trompée ? La terre est proche et nous y conduire est si peu de chose.

— Si peu de chose… Ça dépend !… Enfin, je ne cherche pas à vous faire peur. Je voulais simplement vous préparer au pire, si ce pire devait arriver. Le capitaine en question est une vraie brute, un démon incarné. Personne ne peut prévoir quel sera son prochain caprice.

J’allais continuer et m’emballer à fond sur le compte de Loup Larsen, quand elle m’interrompit d’une voix et d’un geste las.

— Oui, oui, dit-elle, je comprends… C’est bien.

Elle était épuisée et penser lui était pénible. Elle se laissa aller sur le fauteuil et je n’insistai pas.

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