Page:Londres - Au bagne.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La veille, quarante-deux bagnards avaient défilé chez moi, un par un.

Le cinquième qui se présenta était manchot et sa vieille figure de singe riait malicieusement.

— « Vous avez bien entendu parler du fort Chabrol des Vosges ? Vous savez : Pan ! pan ! deux gendarmes morts. Pan ! pan ! Eh bien ! le fort Chabrol des Vosges, c’est moi !

Vous connaissez Gérardmer ? J’ai pris le tram. Et toujours pan ! pan ! Ah ! c’était drôle, mon ami, c’était drôle !

Eh bien ! J’étais balayeur à Saint-Laurent-du-Maroni, mais toutes les femmes m’aimaient. Plus je balayais, plus elles m’aimaient. Et voilà pourquoi on m’a mis sur les îles. Je viens vous porter la plainte d’un enfant de l’amour.

— Prends ce paquet de tabac, mon vieux, et laisse la place à tes autres camarades. »

Il redescendit l’escalier, son moignon en goguette et pinçant des ailes de pigeon au cri de : pan ! pan ! pan ! pan !

Le dixième était grand, maigre. Il se planta devant moi, grelotta comme un timbre de gare et commença :

— « Au temps de ma femme, Jeanne d’Arc, le monde n’était pas si méchant. Je parle de l’année 1904 où j’ai pris Jeanne d’Arc pour femme. Quant à moi, je suis changé en cheval et je viens me plaindre ici que l’on ne me donne pas de foin.