Page:Londres - Au bagne.djvu/129

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Il accepta une cigarette.

— Les bons, les mauvais, les brutes, les brebis perdues, nous tournons tous, ici, dans un cercle vicieux. Nous n’avons plus de boulets aux chevilles ; mais, sitôt que nous battons de l’aile pour nous élever, une corde invisible nous ramène au fond du trou. À part le feu, nous sommes bien les damnés que représentent les images catholiques.

Entendez-moi. Je ne dis pas que je sois venu ici sans motif. Mais je n’étais pas foncièrement mauvais quand j’accomplis mon premier voyage en Guyane (il sourit) à dix-huit ans ! J’avais tiré un coup de feu sans résultat et volé mille francs. Cela ne valait pas une pension de l’État, mais n’était qu’un geste. Mon âme, autour de cette tache d’un jour, restait blanche. Mais après quatre ans d’administration pénitentiaire, alors non ! je ne pouvais plus concourir pour un prix Montyon. Ah ! fit-il d’un ton d’administrateur, la Guyane devrait être un Eldorado. Songez que moi (il me désigne son matricule), je suis le 27.307. Un très vieux cheval ! On en est maintenant à 47.000. Cherchez une route, un chemin de fer, cherchez la trace de passage de quarante-sept mille blancs. On ne voit pas même leurs tombes. On aurait pu tout au moins élever une pyramide avec les ossements. C’eût été un souvenir !

Le bagne n’est qu’une machine à faire le vide. Et cette machine coûte quatorze millions par an à la France.