Page:Londres - Au bagne.djvu/173

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LE MIEN


Le mien s’appelait Ginioux. Il se balançait toujours comme un ours. S’il ne se fût montré farouche ennemi des chats, je l’aurais bien aimé. Toutes les nuits, guettant le fauve, il se baladait par la maison, un gros bâton à la main. Hier, à deux heures du matin, dressé sous ma moustiquaire, on aurait pu m’entendre crier : « Ginioux, si tu continues de casser les reins aux chats, je te casse la figure. » Ginioux partit se coucher.

Un soir que je n’avais trouvé personne qui m’offrît à dîner, Ginioux alla me chercher des œufs et une boîte de crabes. Comme il m’apportait douze œufs, je lui demandai s’il ne perdait pas sa noble boule.

— C’est pour choisir, dit-il. Ce sont des œufs de Chinois.

— Et toi ! mon vieux Ginioux, qu’est-ce qui t’a amené ici ?

Ginioux avait une tête comme une bille de billard qui aurait des yeux. Il dansa sur ses pieds nus et commença :

— À huit ans, j’étais aveugle. Tout d’un coup, mon père se rappela que ma mère avait promis un pèlerinage à Notre-Dame des Grâces de Pont-Saint-Esprit, et que ce pèlerinage elle n’avait pu le faire parce qu’elle était morte avant. Il y alla.