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LE CHEMIN DE BUENOS-AIRES

Un campement plusieurs fois centenaire. Pas de tentes, des maisons, des rues, une place même, mais un campement. Lasse d’errer, la tribu s’était arrêtée là, un jour, un jour au cours d’un siècle qui est très loin du nôtre. Et les arrière-enfants vivaient définitivement dans les demeures provisoires vieilles de centaines d’années.

Et j’eus peur. Cette ville était juive, uniquement. J’eus peur et je fis peur. Ce n’était qu’à quarante kilomètres de Varsovie, pourtant. Ne voyaient-ils donc jamais des gens de mon espèce ? Il en existait donc de la leur ? Je passais : les rideaux se baissaient, les fenêtres se fermaient. Des groupes de Juifs, qui occupaient la rue, se disloquaient.

Ces lévites noires, dont la crasse seule assurait les reflets blanchâtres, ces cheveux jamais lavés, tire-bouchonnant sur la joue gauche, ces casquettes plates, rondes, les achevant comme un couvercle, ces barbes vierges, blondes, noires, grises, blanches, folâtres ou octogénaires ! Quelques-uns s’avancèrent et entourèrent la voiture. J’eus un frisson. Il me parut que je venais de tomber dans un nid où de grands oiseaux sombres et inconnus eussent déployé leurs ailes pour me couper la retraite.

Ils voulaient me conduire chez le rabbin. Sans doute comme on amène un maraudeur au garde-champêtre.