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livre de l’Arcadie, précédemment composée, on trouve quelques vers qui pourraient faire deviner la véritable ou tout au moins la principale cause de ces persécutions. « Heureux, s’écrie Lope, heureux celui qui est né difforme et disgracié par la nature ! » Puis il se plaint des envieux que lui a faits sa réputation naissante. Puis il nous apprend que ceux-là même à qui il a accordé toute sa confiance l’ont trahi, etc. Or, évidemment, il s’agit d’une femme ; il s’agit d’une rivalité, d’une intrigue découverte. Cette femme, selon nous, Lope, pauvre, mais jeune et beau, l’aurait enlevée à quelque seigneur moins favorisé de la nature, mais riche et puissant ; et il aurait eu l’indiscrétion de dire sa conquête à un ami jaloux de son talent et de ses succès, qui l’aurait trahi. Maintenant, quelle serait cette femme ? Serait-ce par hasard la noble dame en l’honneur de laquelle avait été composée l’Arcadie ? Ce seigneur, serait-ce don Frédéric de Tolède ? Cet ami infidèle, serait-ce quelque commensal du poëte ?… Je l’ignore, et ne veux rien affirmer, rien préciser. Toutefois, je m’expliquerais ainsi assez bien et la brusque sortie de Lope de la maison de don Frédéric, et sa rentrée chez le bon évêque, et jusqu’à ses projets ecclésiastiques, dont la réalisation le mettait à l’abri d’une vengeance redoutée.

Quoi qu’il en soit, après avoir subi un emprisonnement de quelques semaines, Lope fut obligé, par mesure de prudence j’imagine, de quitter Madrid ; mais dans son malheur il eut la consolation de trouver un ami qui, après avoir partagé sa captivité, voulut le suivre en exil. Ce noble et généreux ami, pour qui Lope put bientôt après se dévouer à son tour dans des circonstances analogues[1], et à qui il a donné l’immortalité, se nommait Claudio Conde.

Lope se retira à Valence. Déjà célèbre, il y reçut un accueil flatteur. L’on voit en mille endroits de ses ouvrages qu’il conserva toujours le plus tendre souvenir à cette ville et à ses habitants. Valence était alors, ainsi que Séville, l’émule de Madrid : elle renfermait des savants, des artistes très-dis-

  1. Dans la dédicace de la comédie intitulée Querer su propria desdicha, adressée à Claudio, Lope lui rappelle que pendant leur exil, il le tira de la tour de Sorranos où Claudio avait été enfermé. Malheureusement, Lope ne donne pas d’autre détail.