Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/26

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pendu à un arbre, contre lequel des enfants lancent des pierres : periculosum splendor ! J’ai écrit neuf cents comédies, douze livres en prose et en vers sur divers sujets, et tant d’autres ouvrages, que ce qui est imprimé n’égale point, tant s’en faut, ce qui reste à imprimer encore. Eh bien, je me suis attiré des ennemis, des censures, des jalousies, du blâme et des soucis ; j’ai perdu un temps précieux, et j’ai atteint la vieillesse, non intellecta senectus, comme dit Ausone, sans pouvoir vous laisser autre chose que ces avis inutiles. Je vous dédie cette comédie, parce que je l’ai écrite à l’âge où vous êtes, et pour que vous voyiez bien, quoique cet ouvrage ait été applaudi, quelle fut la faiblesse de mes commencements : à condition toutefois que vous ne me prendrez pas pour modèle ; car cela vous exposerait à être, comme moi, applaudi de la foule, mais estimé de peu de gens. Dieu vous garde ! »

En donnant ces conseils, remarque un des précédents biographes, Lope aurait peut-être désiré qu’ils ne fussent point suivis. Mais son fils les prit au sérieux, et renonçant aux lettres, entra dans la carrière des armes. Il avait seize ans. C’était à peu près l’âge où son père lui-même s’était autrefois engagé. Dans une pièce de vers déjà citée, Lope, qui raconte à un de ses amis ce qui se passe, prévoit ses reproches. Quoi ! votre fils ! votre fils unique ! vous le laissez partir, au lieu de le garder près de vous ! — Que voulez-vous ? répond le pauvre Lope, il dit qu’il n’aime que la guerre ! — Le jeune homme partit donc. Il fut placé sous le patronage du marquis de Santa-Cruz, fils ou petit-fils du célèbre capitaine sous lequel le vieux Lope avait fait la campagne de Portugal, près d’un demi-siècle auparavant.

Quelques années plus tard, ce fut le tour de Feliciana. Un mariage fut arrêté pour elle avec un cavalier de bonne maison, nommé don Louis Usategui, lequel, à ce que me ferait croire son nom, devait être originaire des provinces septentrionales de l’Espagne. Mais don Louis n’avait qu’un bien fort modique, et il attendait une dot. Malheureusement le pauvre Lope avait dépensé au fur et à mesure l’argent qu’il tirait de ses comédies, et il était fort embarrassé. Comment faire ? à qui s’adresser ? Après y avoir bien réfléchi, il songea au roi Philippe IV, de qui il n’avait jamais rien sollicité, et il lui adressa en vers le placet suivant :