Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme de simples mortels. Ce n’est pas ainsi qu’est le roi qu’on a peint sur une tapisserie du salon de don Tello. Il a l’air refrogné, ses bas lui tombent sur les talons, il tient à la main le bâton de commandement, il a une coiffure comme une lanterne surmontée d’une couronne d’or, et une barbe comme celle d’un Maure. Je demandai à un page ce que c’était que cette figure-là ; il me répondit que c’était le roi Baül.

Sanche.

Nigaud, tu veux dire le roi Saül.

Pélage.

Oui, celui qui voulut tuer son neveu David.

Sanche.

Eh non ! David était son gendre.

Pélage.

Ah ! oui, même qu’un jour le curé disait à l’église, qu’avec un gros caillou il cassa la mâchoire à un géant nommé Olias.

Sanche.

Goliath, imbécile.

Pélage.

C’est le curé qui disait ça.

Le Roi.

Comte, fermez cette lettre — (À Sanche.) Comment t’appelles-tu, brave homme ?

Sanche.

Je suis, monseigneur, Sanche de Roelas, qui vous demande humblement justice d’un homme arrogant, lequel m’a enlevé ma femme, et m’eût enlevé la vie si je n’eusse pris la fuite.

Le Roi.

Il est donc bien puissant en Galice ?

Sanche.

Il l’est au point qu’on le respecte et le craint depuis les côtes de ce royaume jusqu’à la tour romaine d’Hercule[1]. S’il en veut à un homme, il n’y a pour celui-ci d’autre secours que le ciel. Il fait et défait les lois ; et comme lui se conduisent tous les orgueilleux infançons qui ne sont pas sous les yeux des rois.

Le Comte.

La lettre est fermée.

Le Roi.

Mettez pour suscription : À don Tello de Neyra.

Sanche.

Sire, vous me sauvez la vie.

  1. S’il faut en croire les anciennes romances et les anciennes chroniques espagnoles, il y avait à Tolède une tour dite la Tour d’Hercule. Le langage de sanche signifierait que don Tello était craint non-seulement en Galice, mais aussi dans le royaume de Léon.