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Santa-Cruz, Marc-Antoine Colonne, Hector Spinola, Augustin Barbarigo, don Fernando de Mendoza, Lope de Figueroa. Le secrétaire du conseil se prépare à écrire.

Don Juan d’Autriche ouvre la séance. Il dit l’importance de l’entreprise et fait voir les bonnes dispositions où se trouve l’armée. Tous les soldats se sont confessés et ont reçu l’eucharistie.


Don Juan d’Autriche.

Voilà, messeigneurs, l’état des choses, et envoyé ici par le roi mon seigneur, j’ai voulu vous consulter. Il me tarde de voir les Turcs abattus aux pieds de notre ligue triomphante et de les livrer comme trophées à l’Église.

André Doria.

Les différends qui se sont élevés entre Gênes et Venise rendront sans doute suspect mon langage ; et si je n’eusse consulté que mon amour-propre, j’aurais dû peut-être laisser parler les autres et me ranger à l’opinion du plus grand nombre : mais je ne me compte pour rien, j’oublie tout ce qui m’est personnel lorsqu’il s’agit de la gloire de Dieu, — de la gloire de mon roi et de ma patrie. — Ç’a été constamment un principe proclamé par les plus grands hommes de guerre, dont j’ai tâché toute ma vie de suivre les exemples, que, de puissance à puissance, il faut éviter de livrer bataille, à moins qu’on n’y soit contraint ou qu’on n’ait l’avantage ; et, en effet, c’est une témérité que de jouer ses plus chers intérêts, sa vie, son honneur, sur un coup de dé incertain contre la fortune capricieuse. Or, les Turcs nous sont supérieurs : ils sont plus nombreux que nous, leur marine vaut mieux que celle de Venise, qui a tant dégénéré. Ils ont des soldats de marine ; et nous, nos troupes de terre, qui sont excellentes, se trouvent tout à fait dépaysées sur ce nouvel élément. Ils sont braves, et leur courage s’est enflé des récentes victoires remportées par eux en Chypre et à Candie. De plus, leur flotte, composée d’une seule nation, obéit à un seul chef, tandis que notre armée, à nous, est composée de différents peuples parmi lesquels règne une continuelle discorde… Quant à la nécessité de combattre, elle n’existe pas pour nous, et à un homme attaqué il suffit de se défendre chez soi ; car le temps fait souvent plus que l’épée. Si nous sommes vaincus, l’Italie est à découvert ; vainqueurs, voici l’époque de la mauvaise saison ; force nous est de regagner à la hâte nos quartiers d’hiver, et cependant l’ennemi renouvelle ses armements. Donc je suis d’avis que, sans attaquer les Turcs, on secoure Chypre, et qu’ensuite on les détourne par une adroite diversion. Inquiétez les côtes de la Morée, et il ira les défendre. Vous donnerez ainsi