Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/79

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Si donc vous me demandiez les règles de l’art, je vous adresserais au savant et docte Rebortelo, et vous verriez exposé dans son livre, soit sur Aristote, soit sur la comédie, ce qui autrement ne se trouve qu’épars dans une foule d’ouvrages, sans ordre et sans lumière. Mais puisque vous demandez l’opinion de ceux qui sont aujourd’hui en possession de la scène, en reconnaissant que le public a le droit d’établir les lois disparates de notre monstre dramatique, je vous dirai mon sentiment, et votre ordre servira d’excuse à ma témérité. — Je voudrais, puisque le public est dans l’erreur, parer cette erreur de couleurs agréables ; je voudrais, puisqu’il n’est plus possible de suivre les règles anciennes, trouver un terme moyen entre les deux extrêmes.

Choisissez d’abord le sujet de votre comédie, et, malgré les vieux préceptes, ne vous inquiétez pas s’il y a ou non des rois parmi vos personnages. Je ne dois pas dissimuler, cependant, que notre roi et seigneur Philippe le prudent se fâchait toutes les fois qu’il voyait un roi sur le théâtre ; soit qu’il vît là une violation des règles de l’art, soit qu’il pensât que, même dans des fictions, l’autorité royale ne doit pas être présentée de trop près aux regards du peuple.

Au reste, nous nous rapprochons en ceci de la comédie antique, où Plaute ne craignit pas de placer même des dieux, comme le prouve le rôle qu’il donne à Jupiter dans son Amphitryon. Il m’en coûte, Dieu le sait, de l’approuver, d’autant que Plutarque, en parlant de Ménandre, blâme formellement la comédie antique ; mais enfin, puisqu’en Espagne nous avons renoncé aux règles de l’art et que nous le traitons sans façon, pour cette fois les érudits auront la bouche close.

En mêlant le tragique et le comique, et Térence à Sénèque (d’où il résulte une espèce de monstre à la façon du Minotaure), vous aurez une partie de la pièce qui sera sérieuse et l’autre qui sera bouffonne. Mais cette variété plaît beaucoup. La nature même nous en donne l’exemple, et c’est de tels contrastes qu’elle tire sa beauté.

Ayez soin seulement que votre sujet ne présente qu’une action ; ayez soin que votre fable ne soit point chargée d’épisodes, c’est-à-dire de choses qui s’écartent du sujet principal, et qu’on n’en puisse détacher aucune partie sans renverser tout l’édifice. Quant à renfermer toute l’action dans l’espace d’un