Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/124

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c’était un véritable champ de bataille, où les salves d’artillerie lointaine se retrouvaient dans le vaste bruit d’enclume des falaises ébranlées à chaque paquet de mer ; comme des flocons de neige, baves d’écume emportées par le vent voletaient autour de la jeune femme. Dans le ciel, des nuages balayés par la tempête fuyaient de larges déchirures, béantes entre leurs flancs, mettaient à l’horizon trempé de clair de lune comme une déroute effarée de chimères…

— Oui, voyez donc, reprenait d’une voix somnambule la rêverie envolée de la marquise, c’est comme une bataille qui se livrerait dans le ciel. C’est dans l’Edda, n’est-ce pas, que les héros et les Walkures combattent éternellement dans l’au-delà de la vie, à travers le palais de nuées de Wottan et de Thor.

— Monsieur Morland vous mettrait cela en vers. Que n’est-il là ? souriait ironiquement la bouche amère d’Hariett.

— En effet, c’est un assez beau décor d’opéra de Wagner, essayait de résumer le dilettantisme appris de Fernandez.

— Et vous faites à merveille dans ce déchaînement des éléments. Quelle belle tempête nocturne on sculpterait d’après vous, à ce balcon !