Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/247

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brosses et des peignes à leurs places, malgré la belle ordonnance des fioles à la devanture, l’aspect général n’en était plus le même ; un événement avait dû survenir en ces lieux, qui en changeait l’atmosphère et, je ne sais pourquoi, je flairais un malheur : les deux garçons étaient cependant à leur poste, occupés chacun autour d’un client ; à son poste aussi la petite caissière, immuablement assise, les coudes au comptoir, devant son grand livre, mais elle n’y était plus seule. Une autre femme était installée auprès d’elle, plus âgée, de mise cossue avec des visées à l’élégance, les cheveux étagés en boucles et les doigts luisants de bijoux, l’air d’un parente arrivée dans la coiffure et retirée des affaires. Penchée sur la petite perruquière, elle lui chuchotait d’une voix grasse comme des encouragements, vagues bruits imperceptibles qu’elle appuyait de gestes autorisés, consultait le livre de caisse, prononçait souvent le mot d’échéance en griffonnant des chiffres et donnait des avis ! L’autre, dont je n’avais pas jusqu’ici remarqué les paupières saccagées et le bout du nez rougi, l’écoutait, la lèvre crispée, avec une telle pâleur répandue sur toute sa face que la conseillère