Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/93

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Va, tu ne fus jamais, dans tes jours les plus rares,
Qu’un banal instrument sous mon archet vainqueur.
Et, comme un air qui sonne au bois creux des guitares,
J’ai fait chanter mon rêve au vide de ton cœur.

— Ah ! le rêve et l’archet vainqueur de Fontenay ! elle est bien bonne ! s’esclaffait le gros Chauchat en caressant le poil de sa barbe soyeuse ; puisque tu cites des vers, je vais te servir du Chamfort (tu as lu Chamfort, non, mais prends ça pour toi) : « Il faut choisir d’aimer les femmes ou de les connaître, il n’y a pas de milieu ». Et tandis que la conversation s’animait et s’aigrissait dans le groupe des fumeurs attardés sur cette terrasse du casino de Dieppe, devant la mer ensoleillée aux luisances de miroir, et sans qu’aucun d’eux parût se soucier de la cloche du dîner sonnant le branle-bas dans tous les hôtels échelonnés le long du boulevard, un grand garçon d’une trentaine d’années au visage de santé balafré d’une longue moustache rousse et qui n’avait pas encore soufflé mot, le regard ailleurs et comme absorbé dans la contemplation de l’horizon, Michel Stourdof, pour l’appeler par son nom, tournait lentement sa face carrée vers les deux plus enragés détracteurs de Nelly, et, d’une voix chantante et douce,