Page:Lorrain - Sensations et Souvenirs, 1895.djvu/22

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Ces heures lourdes de la sieste en été, des excursions en automne, je les passais, moi, en pérégrinations sournoises, en véritables voyages de découverte à travers les coins inexplorés de cette propriété dont le clair-obscur et le mystérieux m’intriguaient. C’étaient de longues haltes auprès des fourmilières, des contemplations ravies de grenouilles immobiles sur une feuille de nénuphar, des reconnaissances prudentes autour des ruches, toutes ces joies, en somme, que prennent les enfants à étudier des bêtes qui ne se savent pas regardées ; et puis enfin c’était une volupté déjà étrange, étant donné mon âge, à céder à la fascination de l’eau. L’eau qui m’a toujours attiré, séduit, pris, charmé, et qui m’ensorcèle encore, et Dieu sait si j’étais servi à souhait dans cette propriété où les îlots, les ponts rustiques et les pièces d’eau se succédaient dans des paysages de keepsake, le premier parc anglais créé dans la contrée au moment de la vogue des romans de Rousseau. Une rivière indolente alimentait toutes ces merveilles auliques, grossie elle-même par quatre ou cinq petites sources, dont l’orgueil du premier propriétaire avait fait autant de chapelles. C’étaient, échelonnées le long du parc, comme autant de piscines cimentées et dallées sous un abri d’ardoises, avec quatre ou cinq marches baignant dans la transparence d’une eau verdâtre et froide : la source.

C’étaient là, je l’avoue, mes pèlerinages d’élection ;