Page:Lorrain - Sensations et Souvenirs, 1895.djvu/24

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toute sensuelle, triplée par la conscience de ma désobéissance et par le mépris que je prenais des autres de ne pas oser en faire autant ; et puis on était si bien dans cette retraite, dans l’ombre calme et comme éternelle de ces grands sapins, les yeux reposés sur le velours des mousses.

Oh ! la source ferrugineuse du vieux parc de Valmont, je l’ai, je crois, aussi passionnément aimée, aussi voluptueusement possédée que la plus adorée des maîtresses, et cela jusqu’au jour où, par une cruelle revanche des choses, j’y devais trouver le plus ignoble des châtiments.

Un jour où, selon mon habitude, je venais de boire à lentes gorgées l’enivrante eau glacée, comme je me relevais sur la paume des mains, (ce jour-là, dans ma sensualité gourmande,je m’étais couché à plat ventre et j’avais lapé à même la source comme un jeune chien) j’apercevais sur le dallage de la piscine, acroupie dans un angle, une immobile forme noire qui me regardait : c’étaient deux yeux ronds à paupières membraneuses horriblement fixés sur les miens, et la forme était flasque, comme affaissée et rentrée en elle-même, quelque chose de noirâtre et de mou dont la seule idée du contact m’énervait. Son immobilité aussi, son immobilité de monstre ou de larve m’emplissait de colère et d’épouvante, quand à travers les transparences de la source, sous l’ombre dentelée