Page:Lorrain - Sensations et Souvenirs, 1895.djvu/30

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Deux heures sonnant à la pendule m’éveillèrent ; la chambre, où brûlait une faible veilleuse, était comme morte tant il y faisait grand silence et, hors la respiration pénible, un peu rauque, de la chère alitée, on n’entendait rien, rien que le ronflement de la flamme et celui de la bouillotte d’eau chaude mijotant là pour les infusions. Fut-ce réellement la sonnerie des deux heures s’égrenant dans la nuit (car je dormais d’un sommeil profond) ou plutôt une assez forte pression des doigts de sa main gardée dans la mienne, toujours est-il que je me dressai en sursaut, puis me penchai sur ce pauvre corps douloureux, sur cette douce face exténuée. Elle aussi, dormait quand une bûche, jetant une lueur plus vive, éclaira tout à coup toute la chambre, puis la clarté retomba aussitôt, mais pas assez vite pour que je n’eusse aperçu une chose qui me terrifia.

Nous n’étions plus seuls dans la chambre. Quelqu’un était là, un inconnu dont je ne pouvais voir le visage et dont la présence m’avait cloué la voix dans le gosier. Homme ou femme, je n’en ai jamais rien su. Installée au coin de la cheminée, dans le grand fauteuil où j’allais souvent m’asseoir pour surveiller l’infusion d’une tisane, le forme inconnue me tournait le dos ; mais, dans le clair-obscur de la chambre, je distinguais parfaitement ses deux mains qu’elle tendait à la flamme ; elles se détachaient en noir sur les braises du foyer et, dans