Page:Loti - L’Horreur allemande, 1918.djvu/92

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elle devait vivre dans la tranquillité et le silence ; mais, depuis qu’elle est devenue une sorte de vestibule des batailles, elle s’est tout à coup encombrée d’officiers, de soldats et d’automobiles militaires qui y mènent grand tapage. Elle a de vieux palais dont quelques-uns sont adorables, des places avec statues et fontaines, des rues plutôt tortueuses bordées de porches aux antiques piliers ; à chaque pas, elle fait tableau. Pour comble, ces soldats, qui la peuplent jusqu’à l’encombrement, sont des Alpins ou des canonniers de montagnes, hommes grimpeurs, exercés à l’escalade des cimes d’alentour, et portant tous le chapeau de feutre que relève d’un côté une agrafe à longue plume d’aigle.

On est ici près du front et sous la menace des obus ; aussi, dès que la nuit commence d’embrouiller toutes choses, le silence se fait et les maisons s’éteignent. La lumière bleue, invisible d’un peu haut, est la seule tolérée, et, quand s’allument à tous les carrefours les petites lampes de guerre d’un bleu si intense, éclairant comme en rêve les palais, les fontaines, les statues et les silhouettes de