Page:Loti - L’Inde (sans les Anglais).djvu/32

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Donc, depuis le coucher du soleil, plus de villages, plus de trace humaine ; le silence partout, dans les profondeurs vertes où la route faisait son interminable tranchée, et où nous allions vite à présent, toujours vite, sous la tiède caresse de la pluie.

Avec l’obscurité envahissante, une musique d’insectes montait peu à peu de toute la terre, changeant la forme du silence. Des élytres par myriades vibraient en crescendo sur le sol de la forêt mouillée — et c’était la musique de chaque nuit depuis les origines du monde…

Quand il fit tout à fait noir, sous le ciel si couvert, notre course au trot rapide, continuée pendant des heures et des heures, devint très solennelle, entre les deux rangées de ces grands arbres, garnis jusqu’en bas de lianes en chevelure, qui se succédaient comme les trop hautes et fantastiques charmilles d’un parc n’ayant pas de fin.

Il arrivait que de grosses bêtes noirâtres, vaguement aperçues dans les ténèbres, nous barraient le passage : les buffles inoffensifs et stupides, qu’il fallait écarter à coups de fouet en poussant des cris. Puis revenait le vide monotone de la route — avec ce silence, qui bruissait de la joie des insectes.

Et on songeait à tout ce que la forêt couvait de vie nocturne, sous son calme immense : tant de fauves, grands ou petits, à l’affût ou en maraude ; tant d’oreilles