Page:Loti - Madame Chrysanthème, 1899.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
152
MADAME CHRYSANTÈME

mier coup de vent que mes yeux ont vu dans la campagne, — et les années rapides ont passé sur ce souvenir — et depuis, le plus beau temps de ma vie s’est consumé…

J’y reviens beaucoup trop souvent à mon enfance ; j’en rabâche en vérité. Mais il me semble que je n’ai eu des impressions, des sensations qu’en ce temps-là ; les moindres choses que je voyais ou que j’entendais avaient alors des dessous d’une profondeur insondable et infinie ; c’étaient comme des images réveillées, des rappels d’existences antérieures ; ou bien c’étaient comme des pressentiments d’existences à venir, d’incarnations futures dans des pays de rêve ; et puis des attentes de merveilles de toute sorte — que le monde et la vie me réservaient sans doute pour plus tard — pour quand je grandirais. Eh bien, j’ai grandi et n’ai rien trouvé sur ma route, de toutes ces choses vaguement entrevues ; au contraire, tout s’est rétréci et obscurci peu à peu autour de moi ; les ressouvenirs se sont effacés, les horizons d’en avant se sont lentement refermés et remplis de ténèbres grises. Il sera bientôt l’heure de m’en retourner dans l’éternelle poussière, et