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MADAME CHRYSANTHÈME

grand jour ; mais ici, dans l’encaissement de cette vallée, on avait déjà une impression de soir ; au-dessous des sommets très éclairés, les bases, toutes les parties plus touffues avoisinant les eaux, étaient dans une pénombre de crépuscule. Ces jonques qui passaient, si blanches sur le fond sombre des feuillages, étaient manœuvrées sans bruit, merveilleusement, par de petits hommes jaunes, tout nus avec de longs cheveux peignés en bandeaux de femme. À mesure qu’on s’enfonçait dans le couloir vert, les senteurs devenaient plus pénétrantes et le tintement monotone des cigales s’enflait comme un crescendo d’orchestre. En haut, dans la découpure lumineuse du ciel entre les montagnes, planaient des espèces de gerfauts qui faisaient : « Han ! Han ! Han ! » avec un son profond de voix humaine ; leurs cris détonnaient là tristement, prolongés par l’écho.

Toute cette nature exubérante et fraîche portait en elle-même une étrangeté japonaise ; cela résidait dans je ne sais quoi de bizarre qu’avaient les cimes des montagnes et, si l’on peut dire, dans l’invraisemblance de certaines choses trop jolies. Des arbres s’arrangeaient en bouquets, avec la